Fred et Katia
 
  

Il était une fois un jeune homme qui s'appelait Fred. Sa femme s'appelait Katia. Ils n'étaient pas mariés depuis longtemps, ils étaient donc de jeunes mariés.
Un jour, Fred dit :
- Je m'en vais travailler aux champs, Katia, à mon retour je voudrais voir sur la table un bon rôti pour assouvir ma faim et une bière bien fraîche pour étancher ma soif.
- Vas-y, Fred, répondit Katia, tu peux compter sur moi, je préparerai tout comme il faut.
L'heure du déjeuner approcha et Katia décrocha de la cheminée une grosse saucisse et la fit frire dans une poêle dans laquelle elle avait mis préalablement un morceau de beurre. La saucisse commença à griller et à frire et Katia était debout devant sa poêle et toutes sortes de pensées lui passaient par la tête. Soudain, elle eut une idée :
- Le temps que la saucisse grille, je pourrais aller tirer la bière à la cave. Elle mit un support sous le manche de la poêle, prit une cruche, descendit à la cave et commença à tirer la bière. La cruche se remplissait et Katia regardait. Soudain, elle s'affola :
- Bon Dieu, le chien là-haut n'est pas attaché ! Et s'il avait l'idée de me tirer la saucisse de la poêle? Il ne manquerai plus que ça !
Et sur-le-champ, elle grimpa l'escalier de la cave quatre à quatre. Mais le chien tenait déjà la saucisse dans sa gueule et s'enfuyait en la traînant par terre.
Katia se lança immédiatement à sa poursuite. Elle lui courut après un bon bout de temps dans les champs, mais le chien était plus rapide et ne lâchait pas sa prise.
La saucisse, heurtant les mottes de terre, disparut au loin.
- Ce qui est parti, on ne peut plus le rattraper, pensa Katia revenant sur ses pas.
Et, épuisée par la course folle, elle marchait à pas lents pour se remettre.
Pendant ce temps-là, la bière dans la cave coulait à flots du fût, puisque Katia avait oublié de fermer le robinet. Et lorsque la cruche fut pleine, la bière, n'y trouvant plus de place, se mit à se déverser tout naturellement dans la cave et ne s'arrêta pas avant que le fût ne fut entièrement vide. Déjà dans l'escalier Katia vit la catastrophe.
- Ciel ! s'écria-t-elle, comment vais-je faire pour que Fred ne s'aperçoive de rien ? !
Elle réfléchit un court instant et se rappela qu'il leur restait encore au grenier, depuis la dernière foire, un sac de farine de blé ; elle le descendrait alors à la cave et verserait la farine sur la bière.
« Voilà qui est bien, se félicita-t-elle, ce que tu arrives à mettre de côté au bon moment, tu le retrouves dans le besoin. »
Elle monta alors au grenier, descendit le sac à la cave et le jeta sur la cruche remplie de bière. La cruche tomba et c'est ainsi que même la dernière bière de Fred se répandit dans la cave. qui étaient sous l'auge. Mais je ne les avais pas touchées, ça, pas question, les marchands ont bien été obligés de se les déterrer eux-mêmes.
- Mon Dieu ! s'écria Fred, qu as-tu fait, malheureuse ! Ce n'étaient pas des pièces de quatre sous jaunes mais de l'or pur, et toute notre fortune ! Tu n'aurais jamais dû me faire ça.
- Eh bien ! je ne le savais pas, mon petit Fred, tu aurais dû me le dire avant. Katia réfléchit un petit moment, puis elle s'écria :
- Sais-tu quoi, Fred ? Nous rattraperons ces voleurs et ils seront bien obligés de nous rendre notre or !
- Bon, d'accord, dit Fred, on va essayer. Mais prends du beurre et du fromage pour qu'on ait de quoi manger sur la route.
- Je vais en prendre, Fred, je vais en prendre.
Et ils s'élancèrent. Fred allait plus vite, Katia traînait à l'arrière et prenait du retard.
« C'est un avantage, se dit-elle, j'aurai de l'avance sur le chemin de retour. »
Le chemin était en pente et des deux côtés il y avait de profondes ornières.
- Regardez donc ça, dit Katia, comme ils ont défoncé, déchiré et meurtri la terre ! Elle ne guérira jamais.
Compatissante, elle prit le beurre et en badigeonna les ornières, à gauche et à droite, pour que les empreintes des roues de charrettes ne leur fassent plus mal.
Toute penchée et absorbée par son travail, elle fit tomber de sa poche un morceau de fromage qui se mit à dévaler la pente. Et Katia raisonna ainsi .
« J'ai déjà gravi cette pente une fois et je n'ai pas envie de recommencer.
Qu'un autre fromage le rattrape et me rapporte le premier. »
Elle prit un autre petit fromage et lui fit descendre la pente. Comme ils ne revenaient pas, elle en envoya un troisième à leur poursuite.
« Ils attendent sans doute d'être plus nombreux, pensa-t-elle, ils n'aiment pas marcher seuls. »
Comme, même à trois, ils ne revenaient pas, elle se dit :
« Je ne sais vraiment pas ce qui se passe. Il se peut que le troisième se soit trompé de chemin et se soit égaré ; je vais en envoyer un quatrième pour me le ramener. »
Or, le quatrième fromage ne fit pas mieux que le troisième. Katia se mit alors en colère et lança même le cinquième et le sixième fromage ; elle n'en avait plus d'autres. Elle attendit encore un bon moment pour voir s'ils revenaient mais en vain, les fromages ne revenaient pas.
« J'aurais mieux fait de vous envoyer au diable, se fâcha Katia, ça vous aurait pris du temps, c'est bien vrai. Pensez-vous que je vous attendrai indéfiniment ?
Certainement pas. Vous êtes plus jeunes que moi, vous n'avez qu'à me rattraper. »
Elle poursuivit son chemin et rejoignit Fred qui s'était arrêté pour l'attendre, car il commençait à avoir faim.
- Voyons ce que tu as apporté à manger.
Katia lui donna du pain.
- Et où sont le beurre et le fromage ?
- Oh, mon petit Fred, répondit Katia, avec du beurre j'ai soigné les ornières sur la route, mais les fromages ne vont pas tarder. L'un d'eux s'était échappé, alors j'ai envoyé les autres à sa poursuite.
- Tu n'aurais pas dû faire ça, Katia, dit Fred, gaspiller du beurre sur la route et faire rouler les fromages sur la pente.
- Eh bien ! mon petit Fred, tu aurais dû me le dire avant.
Ils se partagèrent le pain sec et Fred, soudain, s'inquiéta :
- Katia, as-tu bien fermé la porte de la maison avant de partir ?
- Oh non ! Fred, tu aurais dû me le dire avant.
- Retourne donc à la maison et fais-le. Je veux que notre maison soit bien en sécurité avant de continuer la route. Et rapporte quelque chose d'autre à manger, je t'attendrai ici.
Katia rebroussa chemin tout en réfléchissant :
« Mon petit Fred veut quelque chose d'autre à manger, le beurre et le fromage ne sont apparemment pas à son goût. Je prendrai un panier de pommes tapées et à boire une cruche de vinaigre. »
De retour à la maison, elle ferma le verrou de la partie haute de la porte, sortit des gonds la moitié basse et la chargea sur son dos en se félicitant pour la manière dont elle sut protéger la porte et mettre ainsi sa maison à l'abri du danger. Puis elle traîna un peu pour revenir, car elle se dit :
« Mon petit Fred profitera ainsi bien du repos. »
Et, lorsqu'elle le rejoignit à nouveau, elle dit :
- Tiens, mon petit Fred, voici la porte, tu peux maintenant surveiller ta maison tout seul.
- Oh ! mon Dieu ! s'écria Fred, que ma femme est intelligente ! Elle ferme bien le haut de la porte et enlève la partie basse pour que n'importe qui puisse entrer à l'intérieur. Il est trop tard maintenant pour rentrer à la maison. Et puisque tu as cru bon d'amener la porte jusqu'ici, tu n'as qu'à continuer à la porter.
- Bien sûr, mon petit Fred, la porte, je la porterai volontiers mais les pommes tapées et la cruche avec du vinaigre c'est trop pour moi. Je les accrocherai à la porte, c'est elle qui les portera.
Ils arrivèrent à la forêt et cherchèrent les potiers roublards mais en vain. La nuit tomba, et ils grimpèrent sur un arbre pour y passer la nuit. Mais à peine furent-ils installés là haut, dans la cime, qu'arrivèrent les petits filous, ceux qui prennent et emportent ce qui ne veut pas les suivre tout seul, et qui trouvent des choses avant qu'elles ne soient perdues. Ils s'assirent juste au pied de l'arbre sur lequel s'étaient installés Fred et Katia. Ils allumèrent un feu et commencèrent à partager leur butin.
Fred se glissa de l'autre côté du pied de l'arbre, ramassa des cailloux, puis il regrimpa sur l'arbre et tenta de tuer les voleurs avec les pierres. Mais il visait mal et les bandits s'écrièrent :
- Le jour va bientôt se lever, le vent fait tomber des pommes de pin.
Katia avait toujours la porte sur le dos et elle lui pesait trop. Comme elle était persuadée que c'était à cause des pommes tapées, elle chuchota :
- Fred, il faut que je me débarrasse de ces pommes.
- Attends, Katia, ce n'est pas le moment, répondit Fred, ça pourrait nous trahir.
- Mais je suis obligée, Fred, elles sont trop lourdes.
- Eh bien alors, vas-y, que diable !
Les pommes tapées tombèrent entre les branches et les filous d'en bas observèrent :
« Les oiseaux crottent. »
La porte sur ses épaules lui pesant toujours autant, Katia chuchota à nouveau à l'oreille de Fred :
- Oh ! mon petit Fred, il faut que je vide la cruche avec le vinaigre.
- Non, Katia, ce n'est pas le moment, cela pourrait nous trahir.
- Mais je dois le faire, mon petit Fred, il me pèse trop, ce n'est plus supportable.
- Vas-y alors, verse-le, parbleu !
Katia vida la cruche et le vinaigre éclaboussa les mauvais plaisants au pied de l'arbre.
- C'est déjà la rosée, dirent-ils à l'unisson.
Enfin, Katia eut une idée : « Et si c'était la porte qui pèse si lourd ? » et elle murmura :
- Fred, tu sais, il faut que je me débarrasse de cette porte.
- Non, Katia, tu ne peux pas, cela pourrait nous trahir.
- Mais il le faut, mon petit Fred, elle est bien trop lourde.
- Je t'ai dit non, Katia, tiens bon.
- Oh ! Fred, je vais la lâcher.
- Sacrebleu ! réagit Fred, en colère, lâche-la donc, qu'on n'en parle plus !
La porte tomba en un fracas de tonnerre et les escrocs s'écrièrent :
- C'est le diable qui arrive ! Et ils prirent leurs jambes à leur cou, abandonnant toutes leurs affaires.
À l'aube, Fred et Katia descendirent de l'arbre et, à son pied, ils trouvèrent leur or et le rapportèrent à la maison.
De retour chez eux, Fred dit :
- Et maintenant, Katia, tu devras te mettre au travail.
- Bien sûr, mon petit Fred, j'irai au champ pour faucher.
Arrivée au champ, elle commença à se poser des questions :
- Dois-je manger avant de commencer à couper ou vaut-il mieux que je dorme avant de me mettre au travail ? Oh ! Finalement, je vais commencer par manger.
Elle mangea et puis elle eut sommeil ; elle commença à couper et en somnolant - cric et crac - elle découpa tous ses vêtements, son tablier, sa jupe et même sa chemise. Elle dormit longtemps et lorsqu'elle se réveilla, elle était plantée là, en lambeaux, presque nue.
« Est-ce que c'est moi ou est-ce que ce n'est pas moi ? se demanda-t-elle. Ah non, ce ne peut pas être moi. »
Et la nuit tomba. Katia revint au village en courant, frappa à la fenêtre de Fred et cria :
- Fred ?
- Qu'est-ce que c'est ?
- Est-ce que Katia est à la maison ? Je voudrais savoir.
- Oui, oui, répondit Fred, je crois qu'elle est couchée et qu'elle dort.
- Très bien, dit Katia, on dirait que je suis déjà rentrée.
Et elle partit en courant
 

 
 

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Hans mon hérisson
 
  

Il était une fois un paysan qui avait de l'argent et des biens en suffisance, et même plus, qu'il n'en fallait ; mais aussi riche qu'il fût, il manquait pourtant quelque chose à son bonheur, car ils n'avaient, sa femme et lui, pas eu d'enfant. Il en souffrait, et comme il arrivait souvent que les autres paysans, quand il allait avec eux à la ville voisine, se moquaient de lui et lui demandaient pourquoi il n'avait toujours pas d'enfant, il finit par le prendre mal et un jour, quand il revint chez lui, il s'emporta et dit :
- Je veux un enfant, j'en veux un, même si ce doit être un hérisson !
Par la suite, sa femme mit au monde un enfant qui était mi-hérisson, mi-homme : le haut du corps en hérisson, le bas constitué normalement. Sa mère en fut épouvantée quand elle le vit et s'exclama :
- Là, tu vois ! tu nous as jeté un mauvais sort !
- Qu'est-ce que cela change à présent ? répondit le mari. Le petit doit quand même être baptisé ; mais comment trouver quelqu'un qui veuille être le parrain ?
- Hans-mon-Hérisson, ce sera le seul nom qu'on pourra lui donner, dit la femme.
Le prêtre, après l'avoir baptisé, remarqua qu'il ne pouvait pas être couché dans un lit ordinaire, à cause de ses piquants. Ils lui firent une couche de paille derrière le fourneau, et ce fut là que le petit Hans-mon-Hérisson resta couché. Sa mère ne pouvait pas non plus lui donner le sein comme à un autre enfant, parce que ses piquants lui déchiraient la poitrine. Et Hans-mon-Hérisson resta derrière le fourneau pendant huit années de suite. Son père en était las, au point de penser : « Ah ! si seulement il pouvait mourir ! » Mais non, il ne mourait pas ; il était toujours là, couché derrière le fourneau.
Un jour qu'il y avait foire à la ville, le paysan décida d'y aller, et avant de partir il demanda à sa femme ce qu'elle voulait qu'il lui rapporte. « Un peu de viande, lui dit-elle, et quelques brioches ; enfin, tu sais bien ce qu'il faut pour la maison. » Il fit la même question à la servante, qui voulait, elle, une paire de bas à jours et des chaussons. Enfin, il demanda aussi à Hans-mon-Hérisson ce qu'il aimerait avoir.
- Papa, répondit-il, je voudrais que tu me rapportes une cornemuse.
En revenant de la foire, le paysan donna à sa femme ce qu'il avait acheté pour elle: la viande et les brioches ; il donna ensuite à la servante ses bas et ses pantoufles, et enfin il se pencha derrière le fourneau et donna à Hans-mon-Hérisson sa cornemuse. Et Hans-mon-Hérisson, quand il eut en main sa cornemuse, dit à son père :
- Papa, tu devrais maintenant aller devant la forge et m'y faire ferrer mon coq ; alors je l'enfourcherai et je m'en irai pour ne plus revenir.
Le père, content d'être débarrassé, alla faire ferrer le coq aussitôt ; quand ce fut fini, Hans-mon-Hérisson se mit à califourchon sur le coq et partit en le chevauchant, non sans emmener avec lui des cochons et des ânes qu'il voulait garder au loin, dans la forêt. Lorsque le coq et son étrange cavalier furent dans la forêt, le coq dut s'envoler avec lui au sommet d'un grand arbre et s'y tenir perché, portant toujours Hans-mon-Hérisson sur son dos, où il resta pendant des années à garder, de là-haut, ses ânes et ses cochons, dont le nombre augmentait sans cesse, et qui lui firent un grand troupeau. Pendant tout ce temps-là, son père n'entendit pas parler de lui. Installé sur son arbre, Hans soufflait dans sa cornemuse et se faisait de la musique pour se passer le temps ; et sa musique était fort belle.
Un jour, il arriva qu'un roi s'était perdu dans la forêt et s'étonna beaucoup d'entendre cette jolie musique, sans savoir d'où elle pouvait venir. Il envoya quelqu'un de sa suite en avant, pour qu'il regarde un peu d'où cela pouvait bien sortir ; mais tout ce qu'il put voir, en regardant partout alentour, c'était un drôle d'animal perché tout en haut d'un arbre, quelque chose comme un coq, sur lequel un hérisson se serait mis, et qui jouait de la musique. Ayant entendu son rapport, le roi renvoya son messager lui demander pourquoi il se trouvait perché là-haut, et s'il ne pourrait pas lui indiquer le chemin qui lui permettrait de regagner son royaume. Hans-mon-Hérisson descendit alors de son arbre et déclara qu'il montrerait le chemin si le roi voulait lui promettre, et s'y engager par écrit, de lui accorder le premier être vivant qu'il rencontrerait en arrivant dans sa cour royale.
Le roi se dit : « Je peux facilement le faire : Hans-mon-Hérisson ne pouvant pas comprendre, j'écrirai ce qu'il me plaira. » Le roi prit donc une plume et de l'encre pour écrire quelque chose, et cela fait, Hans-mon-Hérisson lui montra le bon chemin, qui lui permit de rentrer heureusement chez lui. Mais sa fille, qui l'avait aperçu de loin, fut si contente de le revoir qu'elle accourut à sa rencontre et se jeta à son cou pour l'embrasser. Le roi se ressouvint alors de Hans-mon-Hérisson, et il raconta l'aventure à sa fille et comment il avait dû donner à un étrange animal un engagement par écrit, qui lui attribuait le premier être vivant qu'il verrait en arrivant au palais ; et comment cet animal était comme à cheval sur un coq, jouant une fort belle musique ; mais il ajouta bien vite qu'il avait écrit le contraire, à savoir qu'il n'aurait rien ni personne, parce que ce Hans-mon-Hérisson ne savait heureusement pas lire. La princesse s'en montra ravie et déclara que, de toute façon, jamais elle n'eût accepté d'aller là-bas.
Hans-mon-Hérisson n'en continuait pas moins de garder ses ânes et ses cochons, toujours gai et plein d'entrain, perché sur l'arbre et se faisant de la jolie musique en soufflant dans sa cornemuse. Et puis voilà qu'un autre roi vint à passer par là avec son escorte et toute sa suite ; il s'était perdu lui aussi et ne savait plus par où retourner dans son royaume, car la forêt était très, très grande. Il entendit également la belle musique de loin et envoya quelqu'un pour voir ce que cela pouvait bien être. Le messager arriva jusqu’au dessous de l'arbre et vit le coq perché et Hans-mon-Hérisson assis dessus à califourchon. Le messager du roi s'enquit de ce qu'il faisait là.
- Je garde mes cochons et mes ânes, répondit-il. Mais vous, que désirez-vous ?
Le messager lui expliqua qu'ils étaient perdus et ne parvenaient pas à revenir dans leur royaume, à moins qu'il ne voulût bien leur indiquer le chemin. Alors Hans-mon-Hérisson descendit de son arbre et dit au vieux roi qu'il lui montrerait le chemin, à condition qu'il consentît à lui donner en propre ce qu'il verrait en premier dès qu'il serait chez lui, à la porte de son château royal.
- Oui, déclara le roi, et voici mon accord.
Il écrivit et signa à Hans-mon-Hérisson l'engagement qu'il aurait comme sien ce que lui, le roi, aurait vu en premier devant son palais.
La chose faite, Hans-mon-Hérisson monta son coq et chevaucha devant le roi, suivi de ses gens, pour leur montrer le chemin ; et grâce à lui ils rentrèrent heureusement dans le royaume et arrivèrent au château, où la joie fut grande après l'inquiétude. Le roi avait une fille unique qui était d'une grande beauté, et ce fut elle qui se précipita pour l'accueillir et l'embrasser, tout heureuse de son retour.
- Mais comment se fait-il que vous soyez resté si longtemps au loin ? lui demanda-t-elle.
Le roi lui raconta qu'il s'était perdu et que, pour un peu, jamais il n'eût pu rentrer, s'il n'avait eu la chance de rencontrer un drôle d'être, mi-hérisson mi-homme, qui chevauchait un coq perché à la pointe d'un arbre, au coeur de l'immense forêt, et qui jouait une belle musique ; car c'était lui qui l'avait tiré de là en lui montrant le bon chemin. Mais il ajouta qu'il avait promis à cet être sa première rencontre dans la cour du château, et qu'il le regrettait bien maintenant, car cette première personne n'était autre qu'elle-même, sa fille bien-aimée. Quel chagrin n'en avait-il pas ! La princesse lui promit aussitôt qu'elle le ferait et irait de son plein gré là-bas, s'il venait la chercher, parce qu'elle aimait et respectait son vieux père.
Pendant ce temps, Hans-mon-Hérisson gardait toujours ses cochons, et ses cochons faisaient d'autres cochons, si bien qu'il en avait un tel nombre que la grande forêt en était pleine. Hans-mon-Hérisson décida alors qu'il ne resterait plus dans la grande forêt, et il fit dire à son père qu'ils devaient tous, au village, faire place nette dans leurs écuries et leurs étables, parce qu'il arrivait avec un tel troupeau, qu'il y en aurait partout et qu'on pourrait bouchoyer autant qu'on voudrait, aussi longtemps qu'on voudrait, dans toutes les familles. Le père fut consterné de la nouvelle, car il croyait Hans-mon-Hérisson mort depuis longtemps.
Mais Hans-mon-Hérisson monta son coq et se mit en route, poussant devant lui ses cochons jusque dans le village pour les livrer à l'abattage. Et ce fut un massacre, oh, la, la, et une tuerie et un dépeçage et une charcuterie qu'on put entendre à deux lieues à la ronde !
Après, quand tout fut terminé, Hans-mon-Hérisson pria son père de lui ramener son coq-cheval devant la forge pour le faire ferrer une autre fois, ajoutant qu'il s'en irait alors et ne reviendrait plus jamais. Le père alla faire ferrer le coq, se réjouissant à la pensée qu'il ne reverrait plus Hans-mon-Hérisson de sa vie.
A cheval sur son coq, Hans-mon-Hérisson se rendit dans le premier royaume ; mais le roi avait ordonné à ses troupes de tirer à vue sur celui qui viendrait en chevauchant un coq et qui aurait une cornemuse : de tirer et de frapper dessus, de le blesser et de l'abattre, afin qu'il n'arrive pas jusqu'au palais. Lors donc que les gardes le virent apparaître sur son coq, ils croisèrent devant lui leurs baïonnettes pour lui barrer le passage, mais Hans-mon-Hérisson éperonna son coq qui s'envola par-dessus leurs têtes et franchit le portail, pour entrer dans le château par une fenêtre. Hans-mon-Hérisson descendit de sa monture et alla tout droit réclamer au roi ce qu'il lui avait promis, faute de quoi il les tuerait, lui et sa fille. Le roi usa alors de belles et nombreuses paroles pour persuader sa fille de le suivre, car ainsi elle sauverait leurs deux vies, et ils n'avaient pas le choix!
Elle alla s'habiller de blanc, et son père lui donna un carrosse à six chevaux, une escorte et des serviteurs de splendide prestance, de l'or et de l'argent, des bijoux et des robes, quantité d'autres biens. Elle monta dans le carrosse et Hans-mon-Hérisson, toujours à cheval sur son coq et tenant sa cornemuse, monta à côté d'elle ; ils prirent congé du roi qui pensait ne plus les revoir et s'en allèrent. Mais quand ils furent à quelque distance de la ville, Hans-mon-Hérisson déshabilla la princesse et l'écorcha un peu partout avec ses piquants, en la faisant saigner des pieds à la tête.
- Cela, lui dit-il, c'est votre récompense pour la duplicité dont vous avez fait preuve. Et maintenant, va-t'en : je ne veux pas de toi !
Il la chassa honteusement, dans l'état où elle se trouvait ; et ce fut ainsi qu'elle dut regagner le palais, humiliée et confuse pour le restant de ses jours.
Sa cornemuse sous le bras et chevauchant son coq, Hans-mon-Hérisson se rendit alors au royaume du second roi auquel il avait indiqué son chemin. Mais là, les ordres du roi étaient que si quelqu'un venait à cheval sur un coq, fait comme l'était Hans-mon-Hérisson, l'armée et les gardes devaient lui présenter les armes, l'accueillir avec des vivats et lui faire une escorte d'honneur jusque dans la cour du château. Il arriva donc dans ces conditions ; mais lorsque la belle princesse le vit, elle en fut effrayée, car elle ne s'attendait pas à lui voir un extérieur aussi fantastique ; néanmoins, elle se dit que puisqu'il était comme cela, il n'était pas autrement ; et elle se rappela qu'elle avait donné sa promesse à son père. «Au surplus, se disait-elle, il a sauvé mon père et n'a sûrement pas un mauvais coeur. » Toujours est-il qu'elle accueillit Hans-mon-Hérisson avec sympathie, et que le mariage fut célébré. Le nouvel époux dut prendre place à la table royale, et sa jeune femme était à côté de lui pour le festin. Le soir venu, quand il fut temps pour eux d'aller dormir, elle se sentit inquiète, redoutant l'effet de ses piquants ; mais il la rassura en lui disant qu'elle .n'avait rien à craindre et qu'il ne lui ferait aucun mal , puis il demanda au roi, son père, de poster quatre hommes de garde devant la porte de leur chambre, avec mission d'entretenir un bon feu dans la cheminée. Il expliqua que lorsqu'il irait au lit, il quitterait sa peau de hérisson et la laisserait par terre au pied du lit ; il fallait alors que les gardes accourent pour s'en saisir, et qu'ils la jettent immédiatement dans le feu, devant lequel ils devraient veiller jusqu'à ce que la peau fût entièrement consumée.
Quand la cloche sonna onze coups, le jeune époux pénétra dans la chambre nuptiale, se défit de sa peau de hérisson et la jeta au pied du lit ; les gardes accoururent, s'en emparèrent vivement et la précipitèrent dans le feu ardent, devant lequel ils restèrent jusqu'à ce qu'elle fût entièrement dévorée par les flammes. Et quand cette peau de hérisson fut consumée entièrement, il se trouva lui-même délivré de cet enchantement, et il put s'étendre dans le lit avec le corps d'un être humain parfaitement constitué, avec cette seule différence, toutefois, qu'il était complètement noir, d'un noir de suie. Mais le roi lui envoya son médecin qui le lava et le frotta avec des onguents et des baumes, si bien qu'il redevint blanc de peau comme tout le monde et fut, dès lors, un jeune homme d'une beauté charmante. Et quelle grande joie pour la princesse que le voir fait comme cela ! Quand ils se levèrent, le lendemain matin, ils étaient heureux l'un et l'autre ; ils mangèrent et ils burent, et le mariage fut célébré en grande pompe, cette fois, très officiellement, faisant de Hans-mon-Hérisson l'héritier légitime du royaume.
Des années passèrent, puis un jour il partit en voyage avec son épouse et se rendit auprès de son père, auquel il dit qu'il était son fils. Le paysan lui répondit qu'il n'avait pas de fils, ou plutôt qu'il en avait eu un, qui était né avec la peau d'un hérisson, tout couvert de piquants sur la moitié du corps, et que ce fils s'en était allé de par le monde pour ne jamais revenir. Hans se fit reconnaître vraiment, et son vieux père fut heureux que ce fût là son fils, puis il s'en retourna avec lui dans son royaume.
 

 
 

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Hansel et Grethel
 
  

A l'orée d'une grande forêt vivaient un pauvre bûcheron, sa femme et ses deux enfants. Le garçon s'appelait Hansel et la fille Grethel. La famille ne mangeait guère. Une année que la famine régnait dans le pays et que le pain lui-même vint à manquer, le bûcheron ruminait des idées noires, une nuit, dans son lit et remâchait ses soucis. Il dit à sa femme
- Qu'allons-nous devenir ? Comment nourrir nos pauvres enfants, quand nous n'avons plus rien pour nous-mêmes ?
- Eh bien, mon homme, dit la femme, sais-tu ce que nous allons faire ? Dès l'aube, nous conduirons les enfants au plus profond de la forêt nous leur allumerons un feu et leur donnerons à chacun un petit morceau de pain. Puis nous irons à notre travail et les laisserons seuls. Ils ne retrouveront plus leur chemin et nous en serons débarrassés.
- Non, femme, dit le bûcheron. je ne ferai pas cela ! Comment pourrais-je me résoudre à laisser nos enfants tout seuls dans la forêt ! Les bêtes sauvages ne tarderaient pas à les dévorer.
- Oh ! fou, rétorqua-t-elle, tu préfères donc que nous mourions de faim tous les quatre ? Alors, il ne te reste qu'à raboter les planches de nos cercueils.
Elle n'eut de cesse qu'il n'acceptât ce qu'elle proposait.
- Mais j'ai quand même pitié de ces pauvres enfants, dit le bûcheron.
Les deux petits n'avaient pas pu s'endormir tant ils avaient faim. Ils avaient entendu ce que la marâtre disait à leur père. Grethel pleura des larmes amères et dit à son frère :
- C'en est fait de nous
- Du calme, Grethel, dit Hansel. Ne t'en fais pas ; Je trouverai un moyen de nous en tirer.
Quand les parents furent endormis, il se leva, enfila ses habits, ouvrit la chatière et se glissa dehors. La lune brillait dans le ciel et les graviers blancs, devant la maison, étincelaient comme des diamants. Hansel se pencha et en mit dans ses poches autant qu'il put. Puis il rentra dans la maison et dit à Grethel :
- Aie confiance, chère petite soeur, et dors tranquille. Dieu ne nous abandonnera pas.
Et lui-même se recoucha.
Quand vint le jour, avant même que le soleil ne se levât, la femme réveilla les deux enfants :
- Debout, paresseux ! Nous allons aller dans la forêt pour y chercher du bois. Elle leur donna un morceau de pain à chacun et dit :
- Voici pour le repas de midi ; ne mangez pas tout avant, car vous n'aurez rien d'autre.
Comme les poches de Hansel étaient pleines de cailloux, Grethel mit le pain dans son tablier. Puis, ils se mirent tous en route pour la forêt. Au bout de quelque temps, Hansel s'arrêta et regarda en direction de la maison. Et sans cesse, il répétait ce geste. Le père dit :
- Que regardes-tu, Hansel, et pourquoi restes-tu toujours en arrière ? Fais attention à toi et n'oublie pas de marcher !
- Ah ! père dit Hansel, Je regarde mon petit chat blanc qui est perché là-haut sur le toit et je lui dis au revoir.
La femme dit :
- Fou que tu es ! ce n'est pas le chaton, c'est un reflet de soleil sur la cheminée. Hansel, en réalité, n'avait pas vu le chat. Mais, à chaque arrêt, il prenait un caillou blanc dans sa poche et le jetait sur le chemin.
Quand ils furent arrivés au milieu de la forêt, le père dit :
- Maintenant, les enfants, ramassez du bois ! je vais allumer un feu pour que vous n'ayez pas froid.
Hansel et Grethel amassèrent des brindilles au sommet d'une petite colline. Quand on y eut mit le feu et qu'il eut bien pris, la femme dit :
- Couchez-vous auprès de lui, les enfants, et reposez-vous. Nous allons abattre du bois. Quand nous aurons fini, nous reviendrons vous chercher.
Hansel et Grethel s'assirent auprès du feu et quand vint l'heure du déjeuner, ils mangèrent leur morceau de pain. Ils entendaient retentir des coups de hache et pensaient que leur père était tout proche. Mais ce n'était pas la hache. C'était une branche que le bûcheron avait attachée à un arbre mort et que le vent faisait battre de-ci, de-là. Comme ils étaient assis là depuis des heures, les yeux finirent par leur tomber de fatigue et ils s'endormirent. Quand ils se réveillèrent, il faisait nuit noire. Grethel se mit à pleurer et dit :
- Comment ferons-nous pour sortir de la forêt ?
Hansel la consola
- Attends encore un peu, dit-il, jusqu'à ce que la lune soit levée. Alors, nous retrouverons notre chemin.
Quand la pleine lune brilla dans le ciel, il prit sa soeur par la main et suivit les petits cailloux blancs. Ils étincelaient comme des écus frais battus et indiquaient le chemin. Les enfants marchèrent toute la nuit et, quand le jour se leva, ils atteignirent la maison paternelle. Ils frappèrent à la porte. Lorsque la femme eut ouvert et quand elle vit que c'étaient Hansel et Grethel, elle dit :
- Méchants enfants ! pourquoi avez-vous dormi si longtemps dans la forêt ? Nous pensions que vous ne reviendriez jamais.
Leur père, lui, se réjouit, car il avait le coeur lourd de les avoir laissés seuls dans la forêt.
Peu de temps après, la misère régna de plus belle et les enfants entendirent ce que la marâtre disait, pendant la nuit, à son mari :
- Il ne nous reste plus rien à manger, une demi-miche seulement, et après, finie la chanson ! Il faut nous débarrasser des enfants ; nous les conduirons encore plus profond dans la forêt pour qu'ils ne puissent plus retrouver leur chemin ; il n'y a rien d'autre à faire.
Le père avait bien du chagrin. Il songeait - « Il vaudrait mieux partager la dernière bouchée avec les enfants. » Mais la femme ne voulut n'en entendre. Elle le gourmanda et lui fit mille reproches. Qui a dit « A » doit dire « B. »Comme il avait accepté une première fois, il dut consentir derechef.

Les enfants n'étaient pas encore endormis. Ils avaient tout entendu. Quand les parents furent plongés dans le sommeil, Hansel se leva avec l'intention d'aller ramasser des cailloux comme la fois précédente. Mais la marâtre avait verrouillé la porte et le garçon ne put sortir. Il consola cependant sa petite soeur :
- Ne pleure pas, Grethel, dors tranquille ; le bon Dieu nous aidera.
Tôt le matin, la marâtre fit lever les enfants. Elle leur donna un morceau de pain, plus petit encore que l'autre fois. Sur la route de la forêt, Hansel l'émietta dans sa poche ; il s'arrêtait souvent pour en jeter un peu sur le sol.
- Hansel, qu'as-tu à t'arrêter et à regarder autour de toi ? dit le père. Va ton chemin !
- Je regarde ma petite colombe, sur le toit, pour lui dire au revoir ! répondit Hansel.
- Fou ! dit la femme. Ce n'est pas la colombe, c'est le soleil qui se joue sur la cheminée.
Hansel, cependant, continuait à semer des miettes de pain le long du chemin.
La marâtre conduisit les enfants au fin fond de la forêt, plus loin qu'ils n'étaient jamais allés. On y refit un grand feu et la femme dit :
- Restez là, les enfants. Quand vous serez fatigués, vous pourrez dormir un peu nous allons couper du bois et, ce soir, quand nous aurons fini, nous viendrons vous chercher.
À midi, Grethel partagea son pain avec Hansel qui avait éparpillé le sien le long du chemin. Puis ils dormirent et la soirée passa sans que personne ne revînt auprès d'eux. Ils s'éveillèrent au milieu de la nuit, et Hansel consola sa petite soeur, disant :
- Attends que la lune se lève, Grethel, nous verrons les miettes de pain que j'ai jetées ; elles nous montreront le chemin de la maison.
Quand la lune se leva, ils se mirent en route. Mais de miettes, point. Les mille oiseaux des champs et des bois les avaient mangées. Les deux enfants marchèrent toute la nuit et le jour suivant, sans trouver à sortir de la forêt. Ils mouraient de faim, n'ayant à se mettre sous la dent que quelques baies sauvages. Ils étaient si fatigués que leurs jambes ne voulaient plus les porter. Ils se couchèrent au pied d'un arbre et s'endormirent.
Trois jours s'étaient déjà passés depuis qu'ils avaient quitté la maison paternelle. Ils continuaient à marcher, s'enfonçant toujours plus avant dans la forêt. Si personne n'allait venir à leur aide, ils ne tarderaient pas à mourir. À midi, ils virent un joli oiseau sur une branche, blanc comme neige. Il chantait si bien que les enfants s'arrêtèrent pour l'écouter. Quand il eut fini, il déploya ses ailes et vola devant eux. Ils le suivirent jusqu'à une petite maison sur le toit de laquelle le bel oiseau blanc se percha. Quand ils s'en furent approchés tout près, ils virent qu'elle était faite de pain et recouverte de gâteaux. Les fenêtres étaient en sucre. - Nous allons nous mettre au travail, dit Hansel, et faire un repas béni de Dieu. Je mangerai un morceau du toit ; ça a l'air d'être bon !
Hansel grimpa sur le toit et en arracha un petit morceau pour goûter. Grethel se mit à lécher les carreaux. On entendit alors une voix suave qui venait de la chambre
- Langue, langue lèche !
Qui donc ma maison lèche ?
Les enfants répondirent
- C'est le vent, c'est le vent.
Ce céleste enfant.
Et ils continuèrent à manger sans se laisser détourner de leur tâche. Hansel, qui trouvait le toit fort bon, en fit tomber un gros morceau par terre et Grethel découpa une vitre entière, s'assit sur le sol et se mit à manger. La porte, tout à coup, s'ouvrit et une femme, vieille comme les pierres, s'appuyant sur une canne, sortit de la maison. Hansel et Grethel eurent si peur qu'ils laissèrent tomber tout ce qu'ils tenaient dans leurs mains. La vieille secoua la tête et dit :
- Eh ! chers enfants, qui vous a conduits ici ? Entrez, venez chez moi ! Il ne vous sera fait aucun mal.
Elle les prit tous deux par la main et les fit entrer dans la maisonnette. Elle leur servit un bon repas, du lait et des beignets avec du sucre, des pommes et des noix. Elle prépara ensuite deux petits lits. Hansel et Grethel s'y couchèrent. Ils se croyaient au Paradis.
Mais l'amitié de la vieille n'était qu'apparente. En réalité, c'était une méchante sorcière à l'affût des enfants. Elle n'avait construit la maison de pain que pour les attirer. Quand elle en prenait un, elle le tuait, le faisait cuire et le mangeait. Pour elle, c'était alors jour de fête. La sorcière avait les yeux rouges et elle ne voyait pas très clair. Mais elle avait un instinct très sûr, comme les bêtes, et sentait venir de loin les êtres humains. Quand Hansel et Grethel s'étaient approchés de sa demeure, elle avait ri méchamment et dit d'une voix mielleuse :
- Ceux-là, je les tiens ! Il ne faudra pas qu'ils m'échappent !
À l'aube, avant que les enfants ne se soient éveillés, elle se leva. Quand elle les vit qui reposaient si gentiment, avec leurs bonnes joues toutes roses, elle murmura :
- Quel bon repas je vais faire !
Elle attrapa Hansel de sa main rêche, le conduisit dans une petite étable et l'y enferma au verrou. Il eut beau crier, cela ne lui servit à rien. La sorcière s'approcha ensuite de Grethel, la secoua pour la réveiller et s'écria :
- Debout, paresseuse ! Va chercher de l'eau et prépare quelque chose de bon à manger pour ton frère. Il est enfermé à l'étable et il faut qu'il engraisse. Quand il sera à point, je le mangerai.
Grethel se mit à pleurer, mais cela ne lui servit à rien. Elle fut obligée de faire ce que lui demandait l'ogresse. On prépara pour le pauvre Hansel les plats les plus délicats. Grethel, elle, n'eut droit qu'à des carapaces de crabes. Tous les matins, la vieille se glissait jusqu'à l'écurie et disait :
- Hansel, tends tes doigts, que je voie si tu es déjà assez gras.
Mais Hansel tendait un petit os et la sorcière, qui avait de mauvais yeux, ne s'en rendait pas compte. Elle croyait que c'était vraiment le doigt de Hansel et s'étonnait qu'il n'engraissât point. Quand quatre semaines furent passées, et que l'enfant était toujours aussi maigre, elle perdit patience et décida de ne pas attendre plus longtemps.
- Holà ! Grethel, cria-t-elle, dépêche-toi d'apporter de l'eau. Que Hansel soit gras ou maigre, c'est demain que je le tuerai et le mangerai.
Ah, comme elle pleurait, la pauvre petite, en charriant ses seaux d'eau, comme les larmes coulaient le long de ses joues !
- Dieu bon, aide-nous donc ! s'écria-t-elle. Si seulement les bêtes de la forêt nous avaient dévorés ! Au moins serions-nous morts ensemble !
- Cesse de te lamenter ! dit la vieille ; ça ne te servira à rien !
De bon matin, Grethel fut chargée de remplir la grande marmite d'eau et d'allumer le feu.
- Nous allons d'abord faire la pâte, dit la sorcière. J'ai déjà fait chauffer le four et préparé ce qu'il faut. Elle poussa la pauvre Grethel vers le four, d'où sortaient de grandes flammes.
- Faufile-toi dedans ! ordonna-t-elle, et vois s'il est assez chaud pour la cuisson. Elle avait l'intention de fermer le four quand la petite y serait pour la faire rôtir. Elle voulait la manger, elle aussi. Mais Grethel devina son projet et dit :
- Je ne sais comment faire , comment entre-t-on dans ce four ?
- Petite oie, dit la sorcière, l'ouverture est assez grande, vois, je pourrais y entrer moi-même.
Et elle y passa la tête. Alors Grethel la poussa vivement dans le four, claqua la porte et mit le verrou. La sorcière se mit à hurler épouvantablement. Mais Grethel s'en alla et cette épouvantable sorcière n'eut plus qu'à rôtir.
Grethel, elle, courut aussi vite qu'elle le pouvait chez Hansel. Elle ouvrit la petite étable et dit :
- Hansel, nous sommes libres ! La vieille sorcière est morte !
Hansel bondit hors de sa prison, aussi rapide qu'un oiseau dont on vient d'ouvrir la cage. Comme ils étaient heureux ! Comme ils se prirent par le cou, dansèrent et s'embrassèrent ! N'ayant plus rien à craindre, ils pénétrèrent dans la maison de la sorcière. Dans tous les coins, il y avait des caisses pleines de perles et de diamants.
- C'est encore mieux que mes petits cailloux ! dit Hansel en remplissant ses poches.
Et Grethel ajouta
- Moi aussi, je veux en rapporter à la maison !
Et elle en mit tant qu'elle put dans son tablier.
- Maintenant, il nous faut partir, dit Hansel, si nous voulons fuir cette forêt ensorcelée.
Au bout de quelques heures, ils arrivèrent sur les bords d'une grande rivière.
- Nous ne pourrons pas la traverser, dit Hansel, je ne vois ni passerelle ni pont.
- On n'y voit aucune barque non plus, dit Grethel. Mais voici un canard blanc. Si Je lui demande, il nous aidera à traverser.
Elle cria :
- Petit canard, petit canard,
Nous sommes Hansel et Grethel.
Il n'y a ni barque, ni gué, ni pont,
Fais-nous passer avant qu'il ne soit tard.
Le petit canard s'approcha et Hansel se mit à califourchon sur son dos. Il demanda à sa soeur de prendre place à côté de lui.
- Non, répondit-elle, ce serait trop lourd pour le canard. Nous traverserons l'un après l'autre.
La bonne petite bête les mena ainsi à bon port. Quand ils eurent donc passé l'eau sans dommage, ils s'aperçurent au bout de quelque temps que la forêt leur devenait de plus en plus familière. Finalement, ils virent au loin la maison de leur père. Ils se mirent à courir, se ruèrent dans la chambre de leurs parents et sautèrent au cou de leur père. L'homme n'avait plus eu une seule minute de bonheur depuis qu'il avait abandonné ses enfants dans la forêt. Sa femme était morte. Grethel secoua son tablier et les perles et les diamants roulèrent à travers la chambre. Hansel en sortit d'autres de ses poches, par poignées. C'en était fini des soucis. Ils vécurent heureux tous ensemble.
 

 
 

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Heinz le paresseux
 
  

Heinz était paresseux et quoiqu'il n'eût rien d'autre à faire que de garder sa chèvre chaque jour dans les prés, il en soupirait encore quand il rentrait le soir, sa journée terminée. « En vérité, disait-il, c'est une charge et un travail accablants que de conduire ainsi, bon an mal an, une chèvre aux champs jusqu'à la fin de l'automne. Et encore si on pouvait se coucher et dormir ! Mais non ! Il faut avoir l'oeil ouvert pour l'empêcher d'attaquer les jeunes arbres, de pénétrer dans les jardins à travers les haies ou de se sauver. Comment être tranquille un moment et prendre du bon temps ! » Il s'assit, rassembla ses esprits et réfléchit au moyen de se débarrasser d'un aussi lourd fardeau. Longtemps, il ne trouva rien. Mais tout à coup, ce fut comme si des écailles lui tombaient des yeux. « Je sais ce que je vais faire ! s'écria t-il. je n'ai qu'à épouser la grosse Catherine. Elle possède également une chèvre et elle gardera la mienne avec la sienne. Ainsi, je n'aurai pas à me torturer plus longtemps ! »
Heinz se leva et mit en mouvement ses membres fatigués. Il traversa la route (ce n'était pas plus loin que ça) jusqu'à la maison où habitaient les parents de la grosse Catherine et les entretint de leur fille, travailleuse et pleine de vertu. Les parents ne mirent pas longtemps à comprendre. « Qui se ressemble s'assemble », dirent-ils. Et ils acceptèrent sa demande en mariage. La grosse Catherine épousa donc Heinz et conduisit les deux chèvres aux champs. Heinz prit du bon temps et le seul travail dont il avait à se reposer fut sa propre paresse. De temps à autre, il allait avec elle et disait : « Je ne le fais que pour goûter mieux le repos qui s'ensuit. Sinon, on en perd le goût. »
La grosse Catherine, cependant, n'était pas moins paresseuse que lui.
- Mon cher Heinz, dit-elle un jour, pourquoi nous faire de la bile sans raison et perdre les meilleures années de notre jeunesse ? Ne vaudrait-il pas mieux donner nos deux chèvres, qui nous réveillent chaque matin par leurs bêlements au meilleur moment du sommeil, à notre voisin, en échange d'une ruche ? Nous la placerons derrière la maison dans un coin ensoleillé et nous n'aurons pas à nous en occuper. Il n'est pas besoin de garder les abeilles ou de les conduire au champ. Elles s'envolent, retrouvent d'elles-mêmes le chemin de la maison et fabriquent du miel sans qu'on ait à s'en soucier.
- Tu as parlé en femme intelligente, dit Heinz. Nous allons adopter ta proposition sans plus attendre. En outre, le miel est meilleur et nourrit mieux que le lait de chèvre et on peut le conserver plus longtemps.
Le voisin échangea volontiers une ruche contre deux chèvres. Inlassablement, les abeilles volaient de-ci, de-là, du matin jusqu'au soir, remplissant la ruche de bon miel. Heinz put en récolter une pleine cruche quand l'automne fut venu. Ils la placèrent sur une étagère au-dessus de leur lit. Comme ils craignaient qu'on la leur volât, ou que les souris s'y promenassent, Catherine se procura un gros bâton qu'elle plaça sous son lit. Ainsi, ils pouvaient l'atteindre sans se déranger et chasser les visiteurs indésirables sans se lever.
Le paresseux Heinz ne quittait guère le lit avant midi. « Qui se lève tôt, disait-il, mange son bien. » Un matin qu'il était encore dans les plumes, en plein jour, se reposant de son sommeil, il dit à sa femme :
- Les femmes aiment les sucreries et tu es friande de miel. Avant que tu ne l'aies tout mangé, il vaudrait mieux que nous l'échangions contre une oie et son petit.
- Mais pas avant que nous ayons un enfant qui les gardera, rétorqua Catherine. Je ne vais pas me fatiguer avec une oie et user mes forces pour rien.
- Crois-tu, dit Heinz, que notre enfant garderait une oie ? De nos jours, les enfants n'obéissent plus. Ils n'en font qu'à leur tête parce qu'ils se croient plus malins que leurs parents. C'est comme ce valet qui devait chercher les vaches et courait après trois merles.
- Oh ! répondit Catherine, il lui en cuirait s'il ne faisait pas ce que je lui dis ! Je prendrais un bâton et le rouerais de mille coups. Tu vois Heinz, ajouta-t-elle en saisissant le bâton avec lequel elle se proposait de chasser les souris, c'est comme ça que je lui taperais dessus ! Elle brandit le bâton et, par malchance, atteignit la cruche de miel. La cruche heurte le mur et éclate en mille morceaux. Et le beau miel se répand par terre.
- Voilà l'oie et son petit, dit Heinz. Il n'y a plus besoin de les garder. Une veine encore que la cruche ne me soit pas tombée sur la tête. Nous avons toutes les raisons d'être satisfaits de notre sort.
Et voyant un peu de miel sur un des débris de la cruche, il ajouta satisfait :
-Nous allons déguster ce petit reste et ensuite, nous nous reposerons de nos émotions. Peu importe que nous nous levions un peu plus tard que d'habitude ! La journée sera toujours assez longue.
- Oui, répondit Catherine, il est toujours temps pour bien faire. Tu connais l'histoire de l'escargot invité à une noce, qui se mit en route et n'arriva que pour le baptême. Lorsqu'il parvint à la maison, il se cogna au mur et dit :
- J'ai eu tort de me presser.
 

 
 

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