Le pauvre et le riche
 
  

Il y a bien longtemps, alors que le bon Dieu voyageait encore lui-même sur terre parmi les hommes, il se trouva qu'un soir il se sentit fatigué et que la nuit le surprit avant qu'il fût arrivé à une auberge. De chaque côté de la route se trouvait une maison, l'une grande et belle, l'autre petite et d'aspect misérable ; la grande appartenait à un riche, la petite à un pauvre. Le Seigneur se dit : " Je ne serai pas une charge pour le riche ; c'est chez lui que je vais passer la nuit ".
Quand le riche entendit frapper à sa porte, il ouvrit la fenêtre et demanda à l'étranger ce qu'il voulait. Le Seigneur répondit :
- Je vous prie de m'accorder l'hospitalité.
Le riche examina le voyageur de la tête aux pieds et comme Dieu portait de méchants vêtements et n'avait pas l'air d'avoir beaucoup d'argent dans ses poches, il secoua la tête et dit :
- Je ne peux pas vous recevoir. Mes chambres sont pleines de légumes et de graines et si je devais héberger tous ceux qui frappent à ma porte, il ne me resterait plus qu'à prendre moi-même la sébile du mendiant. Cherchez ailleurs où passer la nuit.
Sur quoi, il ferme sa fenêtre et plante là le bon Dieu. Lequel lui tourne le dos et traverse la route pour aller vers la petite maison. À peine eut-il frappé que déjà le pauvre ouvrait sa porte et priait le voyageur d'entrer.
- Passez la nuit chez moi, dit-il ; il fait déjà sombre et vous ne pouvez plus poursuivre votre chemin aujourd'hui.
Cette attitude plut au bon Dieu et il entra. La femme du pauvre lui tendit la main, lui souhaita la bienvenue et, lui dit de s'installer à son aise et de se servir, qu'ils ne possédaient pas grand-chose, mais ce qu'ils avaient, ils le donnaient de bon coeur. Elle mit des pommes de terre à cuire et alla traire la chèvre pour pouvoir ajouter un peu de lait au repas. Quand la table fut mise, le bon Dieu y prit place et mangea avec eux ; la maigre chère qu'on lui offrait lui plut parce que ses hôtes avaient d'avenantes figures. Quand ils eurent fini de manger et que le temps fut venu de se coucher, la femme appela discrètement son mari et lui dit :
- Écoute voir, mon cher mari, nous allons nous installer une couche par terre pour cette nuit de façon que le pauvre voyageur puisse prendre notre lit et s'y reposer ; il a marché tout le jour , il y a de quoi être fatigué. - De bon coeur, répondit-il ; je vais le lui proposer.
Il s'approche du bon Dieu et le prie, s'il en est d'accord, de se coucher dans leur lit pour y détendre convenablement ses membres. Le bon Dieu ne voulait pas priver les deux vieux de leur lit. Mais ils n'en démordaient pas et, à la fin, il dut y consentir. Quant à eux, il se préparèrent une couche à même le sol.
Le lendemain, ils se levèrent avant le jour et confectionnèrent pour leur hôte un petit déjeuner aussi bon qu'ils en avaient les moyens. Quand le soleil pénétra par leur petite fenêtre et que le bon Dieu se fut levé, il mangea de nouveau en leur compagnie et s'apprêta à reprendre la route. Au moment de passer la porte, il se retourna et dit :
- Parce que vous avez été compatissants et pieux, faites trois voeux ; je les exaucerai.
Le pauvre dit alors :
- Que pourrais-je souhaiter d'autres que la félicité éternelle et, tant que nous vivrons, la santé pour nous deux et l'assurance d'avoir toujours notre pain quotidien ; je n'ai pas de troisième voeu à formuler.
Le bon Dieu dit :
- Ne souhaites-tu pas avoir une nouvelle maison à la place de l'ancienne ?
- Oh ! oui, dit l'homme si je pouvais également obtenir cela, j'en serais heureux.
Le Seigneur exauça leurs voeux. Il transforma leur vieille maison en une neuve, leur donna une dernière bénédiction et s'en fut.
Quand le riche se leva, il faisait déjà grand jour. Il se mit à la fenêtre et aperçut, en face de chez lui, une jolie maison neuve, avec des tuiles rouges, à l'endroit où, jusque-là, se trouvait une simple hutte. Il ouvrit de grands yeux, appela sa femme et dit :
- Dis-moi, que s'est-il passé ? Hier soir encore il y avait là une vieille et misérable cabane ; aujourd'hui, on y voit une belle maison neuve. Vas-y et tâche de savoir comment cela s'est fait.
La femme y alla et demanda au pauvre ce qui s'était passé. Il lui raconta :
- Hier soir est arrivé un voyageur qui cherchait un toit pour la nuit ; ce matin, au moment de nous quitter, il nous a offert d'exaucer trois voeux : la félicité éternelle, la santé sur cette terre et le pain quotidien et, finalement, par-dessus le marché, une maison nouvelle à la place de l'ancienne.
La femme du riche se hâta de rentrer chez elle et expliqua tout à son mari. Celui-ci lui dit :
- Je me battrais ! Si seulement j'avais su ça ! L'étranger était d'abord venu chez nous pour y passer la nuit mais je l'ai renvoyé.
- Dépêche-toi, dit la femme, prends ton cheval, rattrape l'homme et il exaucera trois voeux pour toi aussi.
Le riche suivit ce judicieux conseil, fila à toute vitesse sur son cheval et rattrapa le bon Dieu. Il lui parla avec amabilité et astuce, lui demanda de ne pas lui en vouloir de ne pas l'avoir laissé entrer ; il avait cherché la clé de la maison et pendant ce temps le cher hôte était déjà parti ; s'il repassait un jour par là, il fallait absolument qu'il vint chez lui.
- Oui, répondit le bon Dieu, si je repasse par ici sur le chemin du retour, je le ferai.
Le riche lui demanda alors s'il ne pourrait pas former trois voeux comme son voisin. Oui, lui répondit le bon Dieu, il pouvait certes le faire ; mais cela ne serait pas bon pour lui ; il valait mieux s'en abstenir. Le riche dit qu'il trouverait bien quelque chose qui servirait à son bonheur s'il était sûr que cela se réaliserait. Le bon Dieu dit alors :
- Rentre chez toi et que les trois voeux que tu feras se réalisent.
Le riche avait obtenu ce qu'il voulait. Il prit le chemin de sa maison tout en songeant à ce qu'il pourrait bien demander. Comme il méditait ainsi en laissant à son cheval la bride sur le cou, celui-ci se mit à gambader, si bien que l'homme en était sans cesse troublé et qu'il n'arrivait pas à concentrer son esprit. Il toucha le cheval de la main et dit :
- Tiens-toi tranquille !
Mais l'animal continuait à faire ses fariboles. Le riche finit par s'énerver et s'écria dans son impatience :
- Je voudrais que tu te rompes le cou !
À peine avait-il prononcé ces mots que, vlan ! le voilà par terre, le cheval mort à côté de lui ; son premier voeu était exaucé. Comme il était avare de nature, il ne voulut pas abandonner la selle. Il coupa le harnais et la mit sur son dos en reprenant sa route à pied. « Il me reste encore deux voeux », se disait-il pour se consoler. Comme il marchait ainsi sur la route poudreuse et que le soleil de midi commençait à brûler, il eut chaud et se sentit de mauvaise humeur ; la selle lui blessait le dos et il n'avait toujours pas trouvé ce qu'il pourrait souhaiter. « Même si je me souhaite toutes les richesses et tous les trésors de la terre, se disait-il en lui-même, il me viendra par la suite toutes sortes d'autres envies, je le sais d'avance ; il faut que je m'arrange de telle sorte qu'il ne me reste rien d'autre à souhaiter. » Et il soupira :
- Ah ! si j'étais un paysan bavarois libre de formuler trois voeux, je saurais que faire : Je souhaiterais de la bière d'abord de la bière autant que je pourrais en boire en second lieu ; et encore un tonneau de bière par-dessus le marché, comme troisième voeu.
Parfois, il croyait avoir trouvé, mais tout de suite après il pensait que cela ne suffisait pas. Il lui vint tout à coup à l'esprit que sa femme avait bien de la chance d'être à la maison dans sa chambre fraîche, en train de manger de bon appétit. Cette pensée l'irrita et, sans s'en rendre compte, il dit :
- Je voudrais qu'elle soit assise sur cette selle et ne puisse plus en descendre !
À peine avait-il dit ces mots que la selle disparaissait de son dos et il s'aperçut que son deuxième voeu avait été exaucé. Il commença alors à avoir vraiment chaud ; il se mit à courir avec l'intention de rentrer vite chez lui et de s'asseoir tout seul dans sa chambre pour y réfléchir à quelque chose de considérable pour son troisième voeu. Quand il arriva à la maison et ouvrit la porte, il vit sa femme au milieu de la pièce, assise sur la selle, ne pouvant en descendre, gémissant et criant. Il lui dit :
- Je vais te satisfaire ; je vais souhaiter pour toi toutes les richesses de la terre, mais reste assise où tu es.
Elle le traita d'animal et dit :
- À quoi me serviront toutes les richesses du monde si je reste assise sur cette selle ; tu as souhaité que j'y aille tu dois maintenant m'aider à en descendre.
Qu'il le voulût ou non, il lui fallut former le voeu qu'elle soit débarrassée de la selle et puisse en redescendre. Et aussitôt il fut exaucé. Il n'avait ainsi récolté dans l'affaire que du mécontentement, de la peine, des injures et la mort de son cheval. Les pauvres, eux, vécurent heureux, tranquilles et pieux jusqu'à leur sainte mort.
 

 
 

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Le pauvre meunier et le petite chatte
 
  

Dans un moulin vivait un vieux meunier qui n'avait ni femme ni enfant. Trois apprentis étaient à son service. Quand ils eurent travaillé pendant quelques années chez lui, il leur dit un jour :
- Je suis vieux et je veux rester au coin du feu. Partez par le monde ! Celui de vous qui me ramènera le meilleur cheval héritera de mon moulin et me soignera jusqu'à ma mort.
Le troisième des garçons était un simple valet. Les deux autres le tenaient pour un demeuré et ne voulaient pas qu'il héritât du moulin. Lui-même, d'ailleurs, n'en avait aucune envie.
Ils partirent donc tous les trois et, à la sortie du village, les deux autres dirent à Jeannot-le-Simple:
- Tu n'as qu'à rester ici ; de toute façon, jamais de ta vie tu ne trouveras un cheval.
Jeannot, cependant, les accompagna. À la nuit tombante, ils arrivèrent à une caverne ; ils s'y installèrent pour dormir. Les deux qui se croyaient malins attendirent que Jeannot fût plongé dans le sommeil ; puis ils partirent en le laissant tout seul. Ils s'imaginaient avoir été très adroits.
Quand le soleil se leva et qu'à son réveil Jeannot s'aperçut qu'il était couché dans une profonde grotte, il s'écria :
- Ah ! mon Dieu, où suis-je ? Il se leva, sortit de la caverne, entra dans la forêt et songea :
« Je suis ici seul et abandonné. Comment pourrais-je trouver un cheval ? »
Pendant qu'il réfléchissait ainsi tout en marchant, il rencontra une petite chatte à la fourrure bigarrée qui lui dit, pleine d'amitié :
- Où vas-tu, Jeannot ?
- Qu'importe ! tu ne peux de toute façon me venir en aide.
- Je sais fort bien ce que tu veux, dit le chaton. Tu veux un beau cheval. Viens avec moi et sois sept années durant mon fidèle serviteur. Je te donnerai alors un cheval plus beau que tu n'en as jamais vu.
« Voilà une chatte miraculeuse ! se dit Jeannot. Il faut que je voie si ce qu'elle dit est vrai. »
Le chaton l'emmena dans un château enchanté où il n'y avait que des chats à son service. Ils couraient de haut en bas dans l'escalier, joyeux et de parfaite humeur. Le soir, quand leur maîtresse se mit à table, trois d'entre eux jouèrent de la musique : l'un frottait la contrebasse, le deuxième le violon et le troisième soufflait dans une trompette en gonflant ses joues autant qu'il le pouvait. Quand le repas fut terminé, on débarrassa la table et le chaton dit à Jeannot :
- Et maintenant danse avec moi !
- Non, répondit-il, je ne danse pas avec une chatte, je n'ai jamais fait cela.
- Alors, conduisez-le au lit, dit le chaton à ses serviteurs chats.
L'un d'eux le mena à la chambre à coucher, un autre lui retira ses chaussures, un troisième ses bas et un quatrième, finalement, éteignit la lumière.
Le lendemain matin, ils revinrent auprès de lui et l'aidèrent à sortir du lit ; le premier lui remit ses bas, le deuxième noua ses jarretières, le troisième alla chercher ses chaussures, le quatrième le fit se lever et le dernier lui débarbouilla le visage avec sa queue.
- Ça fait vraiment du bien, dit Jeannot.
Quant à lui, il devait servir sa maîtresse chatte et tous les jours fendre du bois pour elle. On lui donna une hache, des coins et une scie en argent ; la cognée était en cuivre. Il coupait donc le bois, restait à la maison, mangeait et buvait tout son soûl. Il ne voyait personne d'autre que la chatte bigarrée et ses compagnons. Un jour, celle-ci lui dit :
- Va faucher mon pré et fais les foins.
Elle lui donna une faux en argent et une pierre à aiguiser en or en lui demandant de les lui rendre quand il aurait fini. Quand il eut terminé son travail, il ramena la faux, la pierre et le foin à la maison et demanda s'il recevrait bientôt son salaire.
- Non, dit la chatte, il te reste encore quelque chose à faire. Voici des planches en argent, une hache de charpentier et des équerres avec tout ce qu'il faut d'autre. Le tout en argent. Construis-moi une petite maison.
Jeannot construisit la maisonnette. Après quoi il déclara qu'il avait fait tout ce qu'on lui avait demandé, mais qu'il n'avait toujours pas reçu le cheval. Et cependant, les sept années s'étaient écoulées aussi vite que s'il se fût agi de six mois. La petite chatte lui demanda alors s'il voulait voir le cheval.
- Oui, répondit Jeannot.
Elle ouvrit la porte de la maison qu'il avait construite et quand Jeannot y jeta un coup d'oeil, il aperçut douze chevaux. Ah ! de fiers chevaux ! Leur robe luisait à vous en réjouir le coeur. La chatte lui donna à boire et à manger et lui dit :
- Et maintenant rentre chez toi. Je ne te donnerai cependant pas ton cheval aujourd'hui, mais d'ici trois jours, je te l'amènerai.
Jeannot partit. La chatte lui avait indiqué le chemin du moulin. Elle ne l'avait cependant pas habillé de neuf et il portait toujours les vieux vêtements avec lesquels il était venu. En l'espace de sept années, ils étaient devenus trop courts de partout.
Quand il arriva au moulin, les deux autres garçons meuniers étaient déjà de retour. Chacun d'eux avait ramené un cheval, mais l'un était aveugle, l'autre paralytique.
Ils demandèrent :
- Jeannot, où est ton cheval ?
- Il me suit et sera là dans trois jours.
Ils se mirent à rire et dirent :
- Dis donc, Jeannot, d'où te viendrait ce cheval ? Ce doit être une belle bête !
Jeannot se rendit auprès du meunier qui lui interdit de venir à table tout déchiré et guenilleux qu'il était, car ce serait une honte si jamais quelqu'un venait. On lui donna un peu à manger, mais dehors et le soir, quand vint l'heure de se coucher, les deux autres garçons refusèrent de lui donner un lit. Il lui fallut dormir au poulailler, avec les oies, sur un peu de paille dure.
Le lendemain, quand il s'éveilla, les trois jours étaient écoulés. Arriva un carrosse tiré par six chevaux. Ah ! leur robe luisait que c'en était un plaisir ! Un laquais en conduisait un septième par derrière. Il était destiné au plus jeune garçon. Du carrosse descendit une magnifique princesse. C'était elle, la petite chatte bigarrée que le pauvre Jeannot avait servi sept années durant ! Elle entra au moulin et demanda au meunier où se trouvait le garçon, le dernier des valets. Le meunier répondit :
- Il ne nous est pas possible de le recevoir à la maison. Il est déguenillé et couche avec les oies.
La princesse exigea qu'on l'allât chercher. On le fit donc sortir du poulailler et il lui fallut ramasser les lambeaux de son habit pour s'en couvrir. Le laquais le lava, lui tendit des vêtements magnifiques, et l'en para. Quand tout fut terminé, un roi n'eût pas été plus beau. La jeune fille demanda ensuite à voir les chevaux que les deux autres garçons avaient ramenés : l'un était aveugle, l'autre paralytique. Elle fit avancer le septième cheval.
Quand le meunier le vit, il dit que jamais encore un aussi bel animal n'était entré chez lui.
- Il est pour votre troisième garçon meunier, dit la princesse.
- Dans ce cas, c'est lui qui aura le moulin ! répondit le vieux.
La princesse lui dit de garder le cheval et le moulin par-dessus le marché. Elle emmena son fidèle Jeannot, le fit asseoir dans son carrosse et partit avec lui. Ils se rendirent tout d'abord dans la petite maisonnette qu'il avait construite avec des outils d'argent : elle était devenue un grand château et tout ce qu'il y avait dedans était en or et en argent. Ils se marièrent et Jeannot devint riche, si riche qu'il eut assez de fortune jusqu'à la fin de ses jours.
C'est pour cela qu'il ne faut jamais dire qu'un simple d'esprit ne peut pas réussir dans la vie.
 

 
 

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Le pêcheur et sa femme
 
  

Il y avait une fois un pêcheur et sa femme ; ils vivaient dans une misérable hutte près du bord de la mer. Le pêcheur, qui se nommait Pierre, allait tous les jours jeter son hameçon mais il restait souvent bien des heures avant de prendre quelque poisson.
Un jour qu'il se tenait sur la plage, regardant sans cesse les mouvements du hameçon, voilà qu'il le voit disparaître et aller au fond ; il tire, et au bout de la ligne se montre un gros cabillaud.
- Je t'en supplie, dit l'animal, laisse-moi la vie, je ne suis pas un vrai poisson, mais bien un prince enchanté. Relâche-moi, je t'en prie ; rends-moi la liberté, le seul bien qui me reste.
- Pas besoin de tant de paroles, répondit le brave Pierre. Un poisson, qui sait parler, il mérite bien qu'on le laisse nager à son aise.
Et il détacha la bête, qui s'enfuit de nouveau au fond de l'eau, laissant derrière elle une traînée de sang. De retour dans sa cahute, il raconta à sa femme quel beau poisson il avait pris et comment il lui avait rendu la liberté.
- Et tu ne lui as rien demandé en retour ? dit la femme.
- Mais non, qu'aurais-je donc dû souhaiter ? répondit Pierre.
- Comment, n'est-ce pas un supplice, que de demeurer toujours dans cette vilaine cabane, sale et infecte ; tu aurais bien pu demander une gentille chaumière.
L'homme ne trouvait pas que le service qu'il avait rendu bien volontiers au pauvre prince valût une si belle récompense. Cependant il alla sur la plage, et, arrivé au bord de la mer, qui était toute verte, il s'écria :
- Cabillaud, cher cabillaud, ma femme, mon Isabelle, malgré moi, elle veut absolument quelque chose.
Aussitôt apparut le poisson, et il dit :
- Eh bien, que lui faut-il ?
- Voilà, dit le pêcheur ; parce que je t'ai rendu la liberté, elle prétend que tu devrais m'accorder un souhait ; elle en a assez de notre hutte, elle voudrait habiter une gentille chaumière.
- Soit, répondit le cabillaud, retourne chez toi, et tu verras son voeu accompli.
En effet, Pierre aperçut sa femme sur la porte d'une chaumière coquette et proprette.
- Viens donc vite, lui cria-t-elle, viens voir comme c'est charmant ici ; il y a deux belles chambres, et une cuisine , derrière nous avons une cour avec des poules et des canards, et un petit jardin avec des légumes et quelques fleurs.
- Oh ! quelle joyeuse existence nous allons mener maintenant dit Pierre.
- Oui, dit-elle, je suis au comble de mes voeux !
Pendant une quinzaine de jours ce fut un enchantement continuel ; puis tout à coup la femme dit :
- Écoute, Pierre, cette chaumière est par trop étroite et son jardin n'est pas plus grand que la main. je ne serai heureuse que dans un grand château en pierres de taille. Va trouver le cabillaud et fais-lui savoir que tel est mon désir.
- Mais, répondit le pêcheur, voilà quinze jours à peine que cet excellent prince nous a fait cadeau d'une si jolie chaumière, comme nous n'aurions jamais osé en rêver une pareille. Et tu veux que j'aille l'importuner de nouveau ! Il m'enverra promener, et il aura raison.
- Du tout, dit la femme ; je le sais mieux que toi, il ne demande pas mieux que de nous faire plaisir. Va le trouver, comme je te le dis.
Le brave homme s'en fut sur la plage ; la mer était bleu foncé, presque violette, mais calme. Le pêcheur s'écria :
- Cabillaud, mon cher cabillaud ! ma femme, mon Isabelle, malgré moi, elle veut absolument quelque chose.
- Que lui faut-il donc ? répondit le poisson, qui apparut sur-le-champ, la tête hors de l'eau.
- Imagine-toi, répondit Pierre tout confus, que la belle chaumière ne lui convient plus, et qu'elle désire un palais en pierres de taille !
- Retourne chez toi, dit le cabillaud, son souhait est déjà accompli.
En effet, le pêcheur trouva sa femme se promenant dans la vaste cour d'un splendide château. 1
- Oh ! ce gentil cabillaud, dit-elle ; regarde donc comme tout est magnifique !
Ils entrèrent à travers un vestibule en marbre ; une foule de domestiques galonnés d'or leur ouvrirent les portes des riches appartements, garnis de meubles dorés et recouverts des plus précieuses étoffes. Derrière le château s'étendait un immense jardin où poussaient les fleurs les plus rares puis, venait un grandissime parc, où folâtraient des cerfs, des daims et toute espèce d'oiseaux ; sur le côté se trouvaient de vastes écuries, avec des chevaux de luxe et une étable, qui contenait une quantité de belles vaches.
- Quel sort digne d'envie, que le nôtre, dit le brave pêcheur, écarquillant les yeux à l'aspect de ces merveilles ; j'espère que tes voeux les plus téméraires sont satisfaits.
- C'est ce que je me demande, répondit la femme ; mais j'y réfléchirai mieux demain.
Puis, après avoir goûté des mets délicieux qui leur furent servis pour le souper, ils allèrent se coucher.
Le lendemain matin, qu'il faisait à peine jour, la femme, éveillant son mari, en le poussant du coude, lui dit :
- Maintenant que nous avons ce palais, il faut que nous soyons maîtres et seigneurs de tout le pays à l'entour.
- Comment, répondit Pierre, tu voudrais porter une couronne ? quant à moi, je ne veux pas être roi.
- Eh bien, moi je tiens à être reine. Allons, habille-toi, et cours faire savoir mon désir à ce cher cabillaud.
Le pêcheur haussa les épaules, mais il n'en obéit pas moins. Arrivé sur la plage, il vit la mer couleur gris sombre, et assez houleuse ; il se mit à crier :
- Cabillaud, cher cabillaud ! Ma femme, mon Isabelle, malgré moi, elle veut absolument quelque chose.
- Que lui faut-il donc ? dit le poisson qui se présenta aussitôt, la tête hors de l'eau.
- Ne s'est-elle pas mis en tête de devenir reine !
- Rentre chez toi, la chose est déjà faite, dit la bête.
Et, en effet, Pierre trouva sa femme installée sur un trône en or, orné de gros diamants, une magnifique couronne sur la tête, entourée de demoiselles d'honneur, richement habillées de brocard, et l'une plus belle que l'autre ; à la porte du palais, qui était encore bien plus splendide que le château de la veille, se tenaient des gardes en uniformes brillants une musique militaire jouait une joyeuse fanfare ; une nuée de laquais galonnés était répandue dans les vastes cours, où étaient rangés de magnifiques équipages.
- Eh bien, dit le pêcheur, j'espère que te voilà au comble de tes voeux ; naguère pauvre entre les plus pauvres, te voilà une puissante reine.
- Oui, répondit la femme, c'est un sort assez agréable, mais il y a mieux, et je ne comprends pas comment je n'y ai pas pensé ; je veux être impératrice, ou plutôt empereur ; oui, je veux être empereur !
- Mais, ma femme, tu perds le sens ; non, je n'irai pas demander une chose aussi folle à ce bon cabillaud ; il finira par m'envoyer promener, et il aura raison.
- Pas d'observations, répliqua-t-elle ; je suis la reine et tu n'es que le premier de mes sujets. Donc, obéis sur-le-champ.
Pierre s'en fut vers la mer, pensant qu'il faisait une course inutile. Arrivé sur la plage, il vit la mer noire, presque comme de l'encre ; le vent soufflait avec violence et soulevait d'énormes vagues.
- Cabillaud, cher cabillaud, s'écria-t-il, ma femme, mon Isabelle, malgré moi, elle veut encore quelque chose.
- Qu'est-ce encore ? dit le poisson qui se montra aussitôt.
- Les grandeurs lui tournent la tête, elle souhaite d'être empereur.
- Retourne chez toi, répondit le poisson ; la chose est faite.
Lorsque Pierre revint chez lui, il aperçut un immense palais, tout construit en marbre précieux ; le toit en était de lames d'or. Après avoir passé par une vaste cour, remplie de belles statues et de fontaines qui lançaient les plus délicieux parfums, il traversa une haie formée de gardes d'honneur, tous géants de plus de six pieds ; et, après avoir passé par une enfilade d'appartements décorés avec une richesse extrême, il atteignit une vaste salle où sur un trône d'or massif, haut de deux mètres, se tenait sa femme, revêtue d'une robe splendide, toute couverte de gros diamants et de rubis, et portant une couronne qui à elle seule valait plus que bien des royaumes ; elle était entourée d'une cour composée rien que de princes et de ducs ; les simples comtes étaient relégués dans l'antichambre.
Isabelle paraissait tout à fait à son aise au milieu de ces splendeurs.
- Eh bien, lui dit Pierre, j'espère que te voilà au comble de tes voeux ; il n'y a jamais eu de sort comparable au tien.
- Nous verrons cela demain, répondit-elle.
Après un festin magnifique, elle alla se coucher ; mais elle ne put dormir ; elle était tourmentée à l'idée qu'il y avait peut-être quelque chose de plus désirable encore que d'être empereur. Le matin, lorsqu'elle se leva, elle vit que le ciel était brumeux.
« Tiens, se dit-elle, je voudrais bien voir le soleil ; les nuages sombres m'attristent. Oui, mais, pour faire lever le soleil, il faudrait être le bon Dieu. C'est cela, je veux être aussi puissante que le bon Dieu. »
Toute ravie de son idée, elle s'écria :
- Pierre, habille-toi sur-le-champ, et va dire à ce brave cabillaud que je désire avoir la toute-puissance sur l'univers, comme le bon Dieu ; il ne peut pas te refuser cela.
Le brave pêcheur fut tellement saisi d'effroi, en entendant ces paroles impies, qu'il dut se tenir à un meuble pour ne pas tomber à la renverse.
- Mais, ma femme, dit-il, tu es tout à fait folle. Comment, il ne te suffit pas de régner sur un immense et riche empire ?
- Non, dit-elle, cela me vexe, de ne pas pouvoir faire se lever ou se coucher le soleil, la lune et les astres. Il me faut pouvoir leur commander comme le bon Dieu.
- Mais enfin, cela passe le pouvoir de ce bon cabillaud ; il se fâchera à la fin, si je viens l'importuner avec une demande aussi insensée.
- Un empereur n'admet pas d'observations, répliqua-t-elle avec colère ; fais ce que je t'ordonne, et cela sur-le-champ.
Le brave Pierre, le coeur tout en émoi, se mit en route. Il s'était levé une affreuse tempête, qui courbait les arbres les plus forts des forêts, et faisait trembler les rochers ; au milieu du tonnerre et des éclairs, le pêcheur atteignit avec peine la plage. Les vagues de la mer étaient hautes comme des tours, et se poussaient les unes les autres avec un épouvantable fracas.
- Cabillaud, cher cabillaud, s'écria Pierre, ma femme, mon Isabelle, malgré moi, elle veut encore une dernière chose.
- Qu'est-ce donc ? dit le poisson, qui apparut aussitôt.
- J'ose à peine le dire, répondit Pierre ; elle veut être toute-puissante comme le bon Dieu.
- Retourne chez toi, dit le cabillaud, et tu la trouveras dans la pauvre cabane, d'où je l'avais tirée.
Et, en effet, palais et splendeurs avaient disparu ; l'insatiable Isabelle, vêtue de haillons, se tenait sur un escabeau dans son ancienne misérable hutte. Pierre en prit vite son parti, et retourna à ses filets ; mais jamais plus sa femme n'eut un moment de bonheur.
 

 
 

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Le petit âne
 
  

Il était une fois un roi et une reine qui avaient tout ce qu'ils souhaitaient, mais ils n'avaient pas d'enfant. La reine était désespérée, et tous les jours et toutes les nuits elle se lamentait :- « Je suis comme une terre en friche où rien ne germe. »
Enfin le ciel exauça ses prières ; mais lorsque l'enfant fut né, il ne ressemblait en rien à un homme: c'était un petit âne. Lorsque sa mère le vit, elle se mit à se lamenter de plus belle :
- Plutôt qu'un âne comme fils, dit-elle, je préfère ne pas avoir d'enfant du tout. On devrait le jeter à l'eau, pour qu'il se fasse dévorer par les poissons.
Mais le roi ne fut pas d'accord et dit :
- Le bon Dieu nous l'a donné, il sera donc mon fils et mon héritier et après ma mort c'est lui qui s'assiéra sur le trône et portera la couronne royale.
Ils éduquaient donc le petit âne de leur mieux, et celui-ci grandissait bien. Il se réjouissait de la vie, s'amusait, jouait, mais par-dessus tout il aimait la musique. Aussi s'en alla-t-il trouver un célèbre musicien et lui demanda :
- Apprends-moi ton art. Que je sache jouer du luth aussi bien que toi.
- Pauvre petit, soupira le musicien. Vos doigts ne sont pas faits pour jouer du luth ; ils sont même trop grands, je crains que les cordes ne tiennent pas.
Mais il pouvait toujours dire tout ce qu'il voulait, le petit âne avait décidé de jouer du luth et ne céda pas. Et il finit par y arriver. Il était si assidu et si appliqué qu'il avait appris à jouer aussi bien que son maître.
Un jour, le petit âne se promenait et il arriva jusqu'à un puits. Là, il vit sa tête d'âne se refléter sur la surface de l'eau. Il fut si attristé par ce qu'il venait de voir qu'il s'en alla dans le monde ; il ne prit avec lui que son compagnon fidèle. Ils avaient marché par monts et par vaux, lorsqu'ils arrivèrent dans un royaume où régnait un vieux roi. Il n'avait qu'une fille, mais elle était très belle. - Nous resterons un peu par ici, décida le petit âne.
Il frappa à la porte du château et cria :
- Un hôte est devant votre porte ; ouvrez pour qu'il puisse entrer !
Comme la porte ne s'ouvrait pas, le petit âne s'assit, prit son luth, et avec ses pattes avant, il joua merveilleusement.
Le portier, chargé de surveillance, écarquilla les yeux et courut annoncer au roi :
- Dehors, devant la porte du château, il y a un petit âne et il joue du luth comme un grand maître.
- Faites-le donc venir, demanda le roi.
Dès que le petit âne entra avec son luth dans la grande salle, tout le monde se moqua de lui. Puis ils lui recommandèrent d'aller en bas, chez les gens de service, de s'y asseoir et d'y manger. Mais le petit âne protesta :
- Je ne sors pas d'une vulgaire étable, je descends d'une famille noble !
- Si tu es si noble, lui dirent-ils, va t'asseoir avec les soldats.
- Non, refusa le petit âne, je veux m'asseoir avec le roi.
Le roi rit, et comme il était de bonne humeur, il acquiesça.
- Entendu, petit âne, comme tu veux : viens ici, près de moi.
Ensuite il lui demanda :
- Et comment trouves-tu ma fille, petit âne ?
Le petit âne tourna la tête vers la princesse, la regarda de la tête aux pieds et dit :
- Elle me plaît beaucoup, je n'ai jamais vu de fille plus belle.
- Va donc t'asseoir près d'elle, dit le roi.
- Volontiers, se réjouit le petit âne.
Et il alla s'asseoir près de la princesse. Puis il mangea et but avec de très belles manières, très proprement.
Le noble petit âne resta un temps à la cour du roi. « Il n'y a rien à faire, se dit-il un jour, il faut que tu rentres à la maison. » Triste et la tête baissée, il se présenta devant le roi et lui demanda l'autorisation de partir. Or, le roi s'était habitué à lui et l'appréciait énormément. Il se mit donc à le questionner :
- Qu'est-ce que tu as, petit âne ? Tu as l'air si triste ! Reste chez moi, je te donnerai tout ce que tu veux. Veux-tu de l'or ?
- Non, fit le petit âne en secouant la tête.
- Veux-tu des bijoux, des objets rares ?
- Non, merci.
- Veux-tu la moitié de mon royaume ?
- Non, non.
- Si je savais ce qui pourrait te faire plaisir, soupira le roi. Veux-tu la main de ma gracieuse fille ?
- Oh, oui, acquiesça le petit âne, elle, je la voudrais vraiment.
Et tout à coup il fut plus gai, sa bonne humeur revint, car c'était précisément ce qu'il souhaitait le plus. Et on donna alors un magnifique banquet de noces. Le soir, avant que les mariés n'aient été accompagnés à leur chambre à coucher, le roi, voulant s'assurer que le petit âne continuerait à se conduire avec toujours autant de belles manières, ordonna à son valet de se cacher dans leur chambre.
Les nouveaux mariés entrèrent dans leur chambre à coucher. Le marié ferma le verrou puis, croyant qu'ils étaient seuls, il ôta subitement sa peau d'âne. Il apparut devant la mariée comme un beau et jeune prince.
- Tu sais maintenant qui je suis, dit-il, et tu vois aussi que je ne suis pas indigne de toi.
L'heureuse mariée l'embrassa et en tomba éperdument amoureuse.
Or, dès l'aube le jeune homme revêtit sa peau d'âne. Personne ne pouvait soupçonner ce que la peau cachait ! Et bientôt, le vieux roi arriva.
- Tiens donc, le petit âne est déjà debout ! s'écria-t-il. Tu es sans doute triste, se tourna-t-il vers sa fille, de n'avoir pu épouser un vrai jeune homme ?
- Pas du tout, père, je l'aime tant que pour moi il est le plus beau du monde ; de toute ma vie, je ne veux que lui.
Le roi fut surpris, mais son valet accourut et lui raconta tout.
- Ce n'est tout de même pas possible ! s'étonna le roi.
- Restez donc cette nuit dans leur chambre, vous verrez tout de vos propres yeux, lui conseilla le valet. Et j'ai encore une autre idée. Prenez-lui sa peau et jetez-la dans le feu. Il ne lui restera plus qu'à se montrer sous sa véritable apparence.
- Très bonne idée, dit le roi.
Le soir, lorsque les jeunes mariés dormaient, il se glissa comme une ombre dans leur chambre à coucher, il s'approcha du lit et au clair de lune il aperçut un beau jeune homme dormant paisiblement. La peau d'âne ôtée était par terre. Le roi l'emporta et fit allumer dehors un grand feu, puis il y fit jeter la peau. Et il veilla personnellement à ce qu'elle fût réduite en cendres. Et comme il voulait savoir comment le petit âne volé allait réagir, il resta éveillé toute la nuit.
À l'aube, dès qu'il se réveilla, le jeune homme se leva et voulut se glisser à nouveau dans sa peau d'âne ; mais il la chercha en vain. Il en fut horrifié et il 'écria avec une voix pleine d'épouvante :
- Il ne me reste plus qu'à fuir !
Il sortit de la chambre, mais le roi l'y attendait.
- Où vas-tu, cher fils, l'interpella-t-il. Que veux-tu faire ? Reste ici : tu es un beau jeune homme et je ne te laisserai pas partir. Je te donnerai tout de suite la moitié de mon royaume et, après ma mort, tu seras le maître du pays tout entier.
- Pourvu que ce bon début présage une bonne fin, dit le jeune homme.
Le vieux roi lui donna la moitié du royaume, et quand il mourut l'année suivante, le jeune roi devint le maître du pays tout entier. Et après la mort de son propre père, il hérita également du royaume natal. Il vécut ainsi majestueusement
 

 
 

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