Apprendre à frissonner

Un père avait deux fils. Le premier était réfléchi et intelligent. Il savait se tirer de toute aventure. Le cadet en revanche était sot, incapable de comprendre et d'apprendre. Quand les gens le voyaient, ils disaient : « Avec lui, son père n'a pas fini d'en voir. » Quand il y avait quelque chose à faire, c'était toujours à l'aîné que revenait la tâche, et si son père lui demandait d'aller chercher quelque chose, le soir ou même la nuit, et qu'il fallait passer par le cimetière ou quelque autre lieu terrifiant, il répondait : « Oh non ! père, je n'irai pas, j'ai peur. » Car il avait effectivement peur. Quand, à la veillée, on racontait des histoires à donner la chair de poule, ceux qui les entendaient disaient parfois : « Ça me donne le frisson ! » Le plus jeune des fils, lui, assis dans son coin, écoutait et n'arrivait pas à comprendre ce qu'ils voulaient dire. « Ils disent toujours : "ça me donne la chair de poule ! ça me fait frissonner !" Moi, jamais ! Voilà encore une chose à laquelle je ne comprends rien. »Il arriva qu'un jour son père lui dit :
- Écoute voir, toi, là dans ton coin ! Tu deviens grand et fort. Il est temps que tu apprennes à gagner ton pain. Tu vois comme ton frère se donne du mal.
- Eh ! père, répondit-il, j'apprendrais bien volontiers. Si c'était possible, je voudrais apprendre à frissonner. C'est une chose que j'ignore totalement.
Lorsqu'il entendit ces mots, l'aîné des fils songea : « Seigneur Dieu ! quel crétin que mon frère ! Il ne fera jamais rien de sa vie. » Le père réfléchit et dit :
- Tu apprendras bien un jour à avoir peur. Mais ce n'est pas comme ça que tu gagneras ton pain.
Peu de temps après, le bedeau vint en visite à la maison. Le père lui conta sa peine et lui expliqua combien son fils était peu doué en toutes choses.
- Pensez voir ! Quand je lui ai demandé comment il ferait pour gagner son pain, il a dit qu'il voulait apprendre à frissonner !
- Si ce n'est que ça, répondit le bedeau, je le lui apprendrai. Confiez-le-moi.
Le père était content ; il se disait : « On va le dégourdir un peu. » Le bedeau l'amena donc chez lui et lui confia la tâche de sonner les cloches. Au bout de quelque temps, son maître le réveilla à minuit et lui demanda de se lever et de monter au clocher pour carillonner. « Tu vas voir ce que c'est que d'avoir peur », songeait-il. Il quitta secrètement la maison et quand le garçon fut arrivé en haut du clocher, comme il s'apprêtait à saisir les cordes, il vit dans l'escalier, en dessous de lui, une forme toute blanche.
- Qui va là ? cria-t-il.
L'apparition ne répondit pas, ne bougea pas.
- Réponds ! cria le jeune homme. Ou bien décampe ! Tu n'as rien à faire ici !
Le bedeau ne bougeait toujours pas. Il voulait que le jeune homme le prit pour un fantôme. Pour la deuxième fois, celui-ci cria :
- Que viens-tu faire ici ? Parle si tu es honnête homme. Sinon je te jette au bas de l'escalier.
Le bedeau pensa : "Il n'en fera rien. " Il ne répondit pas et resta sans bouger. Comme s'il était de pierre. Alors le garçon l'avertit pour la troisième fois et comme le fantôme ne répondait toujours pas, il prit son élan et le précipita dans l'escalier. L'apparition dégringola d'une dizaine de marches et resta là allongée. Le garçon fit sonner les cloches, rentra à la maison, se coucha sans souffler mot et s'endormit.
La femme du bedeau attendit longtemps son mari. Mais il ne revenait pas. Finalement, elle prit peur, réveilla le jeune homme et lui demanda :
- Sais-tu où est resté mon mari ? Il est monté avant toi au clocher.
- Non, répondit-il, je ne sais pas. Mais il y avait quelqu'un dans l'escalier et comme cette personne ne répondait pas à mes questions et ne voulait pas s'en aller, je l'ai prise pour un coquin et l'ai jetée au bas du clocher. Allez-y, vous verrez bien si c'était votre mari. Je le regretterais.
La femme s'en fut en courant et découvrit son mari gémissant dans un coin, une jambe cassée. Elle le ramena à la maison, puis se rendit en poussant de grands cris chez le père du jeune homme :
- Votre garçon a fait des malheurs, lui dit-elle. Il a jeté mon mari au bas de l'escalier, où il s'est cassé une jambe. Débarrassez notre maison de ce vaurien !
Le père était bien inquiet. Il alla chercher son fils et lui dit :
- Quelles sont ces façons, mécréant ! C'est le diable qui te les inspire !
- Écoutez-moi, père, répondit-il. Je suis totalement innocent. Il se tenait là, dans la nuit, comme quelqu'un qui médite un mauvais coup. Je ne savais pas qui c'était et, par trois fois, je lui ai demandé de répondre ou de partir.
- Ah ! dit le père, tu ne me feras que des misères. Disparais !
- Volontiers, père. Attendez seulement qu'il fasse jour. Je voyagerai pour apprendre à frissonner. Comme ça, je saurai au moins faire quelque chose pour gagner mon pain.
- Apprends ce que tu veux, dit le père. Ça m'est égal ! Voici cinquante talents, va par le monde et surtout ne dis à personne d'où tu viens et qui est ton père.
- Qu'il en soit fait selon votre volonté, père. Si c'est là tout ce que vous exigez, je m'y tiendrai sans peine.
Quand vint le jour, le jeune homme empocha les cinquante talents et prit la route en se disant : « Si seulement j'avais peur ! si seulement je frissonnais ! »Arrive un homme qui entend les paroles que le garçon se disait à lui-même. Un peu plus loin, à un endroit d'où l'on apercevait des gibets, il lui dit :
- Tu vois cet arbre ? Il y en a sept qui s'y sont mariés avec la fille du cordier et qui maintenant prennent des leçons de vol. Assieds-toi là et attends que tombe la nuit. Tu sauras ce que c'est que de frissonner.
- Si c'est aussi facile que ça, répondit le garçon, c'est comme si c'était déjà fait. Si j'apprends si vite à frissonner, je te donnerai mes cinquante talents. Tu n'as qu'à revenir ici demain matin.
Le jeune homme s'installa sous la potence et attendit que vînt le soir. Et comme il avait froid, il alluma du feu. À minuit le vent était devenu si glacial que, malgré le feu, il ne parvenait pas à se réchauffer. Et les pendus s'entrechoquaient en s'agitant de-ci, de-là. Il pensa : « Moi, ici, près du feu, je gèle. Comme ils doivent avoir froid et frissonner, ceux qui sont là-haut ! » Et, comme il les prenait en pitié, il appliqua l'échelle contre le gibet, l'escalada, décrocha les pendus les uns après les autres et les descendit tous les sept. Il attisa le feu, souffla sur les braises et disposa les pendus tout autour pour les réchauffer. Comme ils ne bougeaient pas et que les flammes venaient lécher leurs vêtements, il dit :
- Faites donc attention ! Sinon je vais vous rependre là-haut !
Les morts, cependant, n'entendaient rien, se taisaient et laissaient brûler leurs loques. Le garçon finit par se mettre en colère.
- Si vous ne faites pas attention, dit-il, je n'y puis rien ! je n'ai pas envie de brûler avec vous.
Et, l'un après l'autre, il les raccrocha au gibet. Il se coucha près du feu et s'endormit. Le lendemain, l'homme s'en vint et lui réclama les cinquante talents :
- Alors, sais-tu maintenant ce que c'est que d'avoir le frisson ? lui dit-il.
- Non, répondit le garçon. D'où le saurais-je ? Ceux qui sont là-haut n'ont pas ouvert la bouche, et ils sont si bêtes qu'ils ont laissé brûler les quelques hardes qu'ils ont sur le dos.
L'homme comprit qu'il n'obtiendrait pas les cinquante talents ce jour-là et s'en alla en disant : « Je n'ai jamais vu un être comme celui-là ! »
Le jeune homme reprit également sa route et se dit à nouveau, parlant à haute voix .
- Ah ! si seulement j'avais peur ! Si seulement je savais frissonner !
Un cocher qui marchait derrière lui l'entendit et demanda :
- Qui es-tu ?
- Je ne sais pas, répondit le garçon.
Le cocher reprit :
- D'où viens-tu ?
- Je ne sais pas, rétorqua le jeune homme.
- Qui est ton père ?
- Je n'ai pas le droit de le dire.
- Que marmonnes-tu sans cesse dans ta barbe ?
- Eh ! répondit le garçon, je voudrais frissonner. Mais personne ne peut me dire comment j'y arriverai.
- Cesse de dire des bêtises ! reprit le cocher. Viens avec moi !
Le jeune homme accompagna donc le cocher et, le soir, ils arrivèrent à une auberge avec l'intention d'y passer la nuit. En entrant dans sa chambre, le garçon répéta à haute et intelligible voix :
- Si seulement j'avais peur ! Si seulement je savais frissonner !
L'aubergiste l'entendit et dit en riant :
- Si vraiment ça te fait plaisir, tu en auras sûrement l'occasion chez moi.
- Tais-toi donc ! dit sa femme. À être curieux, plus d'un a déjà perdu la vie , et ce serait vraiment dommage pour ses jolis yeux s'ils ne devaient plus jamais voir la lumière du jour.
Mais le garçon répondit :
- Même s'il fallait en arriver là, je veux apprendre à frissonner. C'est d'ailleurs pour ça que je voyage.
Il ne laissa à l'aubergiste ni trêve ni repos jusqu'à ce qu'il lui dévoilât son secret. Non loin de là, se trouvait un château maudit, dans lequel il pourrait certainement apprendre ce que c'était que d'avoir peur, en y passant seulement trois nuits. Le roi avait promis sa fille en mariage à qui tenterait l'expérience et cette fille était la plus belle qu'on eût jamais vue sous le soleil. Il y avait aussi au château de grands trésors gardés par de mauvais génies dont la libération pourrait rendre un pauvre très riche. Bien des gens étaient déjà entrés au château, mais personne n'en était jamais ressorti. Le lendemain, le jeune homme se rendit auprès du roi :
- Si vous le permettez, je voudrais bien passer trois nuits dans le château.
Le roi l'examina, et comme il lui plaisait, il répondit :
- Tu peux me demander trois choses. Mais aucune d'elles ne saurait être animée et tu pourras les emporter avec toi au château.
Le garçon lui dit alors :
- Eh bien ! je vous demande du feu, un tour et un banc de ciseleur avec un couteau.
Le jour même, le roi fit porter tout cela au château. À la tombée de la nuit, le jeune homme s'y rendit, alluma un grand feu dans une chambre, installa le tabouret avec le couteau tout à côté et s'assit sur le tour.
- Ah ! si seulement je pouvais frissonner ! dit-il. Mais ce n'est pas encore ici que je saurai ce que c'est.
Vers minuit, il entreprit de ranimer son feu. Et comme il soufflait dessus, une voix retentit tout à coup dans un coin de la chambre :
- Hou, miaou, comme nous avons froid !
- Bande de fous ! s'écria-t-il. Pourquoi hurlez-vous comme ça ? Si vous avez froid, venez ici, asseyez-vous près du feu et réchauffez-vous !
À peine eut-il prononcé ces paroles que deux gros chats noirs, d'un bond formidable, sautèrent vers lui et s'installèrent de part et d'autre du garçon en le regardant d'un air sauvage avec leurs yeux de braise. Quelque temps après, s'étant réchauffés, ils dirent :
- Si nous jouions aux cartes, camarade ?
- Pourquoi pas ! répondit-il, mais montrez-moi d'abord vos pattes.
Les chats sortirent leurs griffes.
- Holà ! dit-il. Que vos ongles sont longs ! attendez ! il faut d'abord que je vous les coupe.
Il les prit par la peau du dos, les posa sur l'étau et leur y coinça les pattes.
- J'ai vu vos doigts, dit-il, j'en ai perdu l'envie de jouer aux cartes.
Il les tua et les jeta par la fenêtre dans l'eau d'un étang . À peine s'en était-il ainsi débarrassé que de tous les coins et recoins sortirent des chats et des chiens, tous noirs, tirant des chaînes rougies au feu. Il y en avait tant et tant qu'il ne pouvait leur échapper. Ils criaient affreusement, dispersaient les brandons du foyer, piétinaient le feu, essayaient de l'éteindre. Tranquillement, le garçon les regarda faire un moment. Quand il en eut assez, il prit le couteau de ciseleur et dit :
- Déguerpissez, canailles !
Et il se mit à leur taper dessus. Une partie des assaillants s'enfuit ; il tua les autres et les jeta dans l'étang. Puis il revint près du feu, le ranima en soufflant sur les braises et se réchauffa. Bientôt, il sentit ses yeux se fermer et eut envie de dormir. Il regarda autour de lui et vit un grand lit, dans un coin.
- Voilà ce qu'il me faut, dit-il.
Et il se coucha. Comme il allait s'endormir, le lit se mit de lui-même à se déplacer et à le promener par tout le château.
- Très bien ! dit-il. Plus vite !
Le lit partit derechef comme si une demi-douzaine de chevaux y étaient attelés, passant les portes, montant et descendant les escaliers. Et tout à coup, il versa sens dessus dessous hop ! et le garçon se retrouva par terre avec comme une montagne par-dessus lui. Il se débarrassa des couvertures et des oreillers, se faufila de dessous le lit et dit :
- Que ceux qui veulent se promener se promènent.
Et il se coucha auprès du feu et dormit jusqu'au matin.
Le lendemain, le roi s'en vint au château. Quand il vit le garçon étendu sur le sol, il pensa que les fantômes l'avaient tué. Il murmura :
- Quel dommage pour un si bel homme!
Le garçon l'entendit, se leva, et dit :
- Je n'en suis pas encore là !
Le roi s'étonna, se réjouit et lui demanda comment les choses s'étaient passées.
- Très bien. Voilà une nuit d'écoulée, les autres se passeront bien aussi.
Quand il arriva chez l'aubergiste, celui-ci ouvrit de grands yeux.
- Je n'aurais jamais pensé, dit-il, que je te reverrais vivant. As- tu enfin appris à frissonner ?
- Non ! répondit-il ; tout reste sans effet. Si seulement quelqu'un pouvait me dire comment faire !
Pour la deuxième nuit, il se rendit à nouveau au château, s'assit auprès du feu et reprit sa vieille chanson : « Ah ! si seulement je pouvais frissonner. » À minuit on entendit des bruits étranges. D'abord doucement, puis toujours plus fort, puis après un court silence, un grand cri. Et la moitié d'un homme arrivant par la cheminée tomba devant lui.
- Holà ! cria-t-il. Il en manqua une moitié. Ça ne suffit pas comme ça !
Le vacarme reprit. On tempêtait, on criait. Et la seconde moitié tomba à son tour de la cheminée.
- Attends, dit le garçon ; je vais d'abord ranimer le feu pour toi.
Quand il l'eut fait, il regarda à nouveau autour de lui : les deux moitiés s'étaient rassemblées et un homme d'affreuse mine s'était assis à la place qu'occupait le jeune homme auparavant.
- Ce n'est pas ce que nous avions convenu, dit-il. Ce tour est à moi !
L'homme voulut l'empêcher de s'y asseoir mais il ne s'en laissa pas conter. Il le repoussa avec violence et reprit sa place. Beaucoup d'autres hommes se mirent alors à dégringoler de la cheminée les uns après les autres et ils apportaient neuf tibias et neuf têtes de mort avec lesquels ils se mirent à jouer aux quilles. Le garçon eut envie d'en faire autant.
- Dites, pourrais-je jouer aussi ?
- Oui, si tu as de l'argent.
- J'en ai bien assez, répondit-il ; mais vos boules ne sont pas rondes.
Il prit les têtes de mort, s'installa à son tour et en fit de vraies boules.
- Comme ça elles rouleront mieux, dit-il. En avant ! on va rire !
Il joua et perdit un peu de son argent. Quand sonna une heure, tout avait disparu. Au matin, le roi vint aux renseignements.
- Que t'est-il arrivé cette fois-ci ? demanda-t-il.
- J'ai joué aux quilles, répondit le garçon, et j'ai perdu quelques deniers.
- Tu n'as donc pas eu peur ?
- Eh ! non ! dit-il, je me suis amusé ! Si seulement je savais frissonner !
La troisième nuit, il s'assit à nouveau sur son tour et dit tristement :
- Si seulement je pouvais frissonner !
Quand il commença à se faire tard, six hommes immenses entrèrent dans la pièce portant un cercueil.
- Hi ! Hi ! Hi ! dit le garçon, voilà sûrement mon petit cousin qui est mort il y a quelques jours seulement.
Du doigt, il fit signe au cercueil et s'écria :
- Viens, petit cousin, viens !
Les hommes posèrent la bière sur le sol ; il s'en approcha et souleva le couvercle. Un mort y était allongé. Il lui toucha le visage. Il était froid comme de la glace.
- Attends, dit-il, je vais te réchauffer un peu. Il alla près du feu, s'y réchauffa la main et la posa sur la figure du mort. Mais celui-ci restait tout froid. Alors il le sortit du cercueil, s'assit près du feu et l'installa sur ses genoux en lui frictionnant les bras pour rétablir la circulation du sang. Comme cela ne servait à rien, il songea tout à coup qu'il suffit d'être deux dans un lit pour avoir chaud. Il porta le cadavre sur le lit, le recouvrit et s'allongea à ses côtés. Au bout d'un certain temps, le mort se réchauffa et commença à bouger.
- Tu vois, petit cousin, dit le jeune homme, ne t'ai-je pas bien réchauffé ?
Mais le mort, alors, se leva et s'écria:
- Maintenant, je vais t'étrangler !
- De quoi ! dit le garçon, c'est comme ça que tu me remercies ? retourne au cercueil !
Il le ceintura, et le jeta dans la bière en refermant le couvercle. Les six hommes arrivèrent alors et l'emportèrent.
- Je ne réussis pas à frissonner, dit-il. Ce n'est décidément pas ici que je l'apprendrai.
À ce moment précis entra un homme plus grand que tous les autres et qui avait une mine effrayante. Il était vieux et portait une longue barbe blanche.
- Pauvre diable, lui dit-il, tu ne tarderas pas à savoir ce que c'est que de frissonner : tu vas mourir !
- Pas si vite ! répondit le garçon. Pour que je meure, il faudrait d'abord que vous me teniez.
- Je finirai bien par t'avoir ! dit le monstrueux bonhomme.
- Tout doux, tout doux ! ne te gonfle pas comme ça ! je suis aussi fort que toi. Et même bien plus fort !
- C'est ce qu'on verra, dit le vieux. Si tu es plus fort que moi, je te laisserai partir. Viens, essayons!
Il le conduisit par un sombre passage dans une forge, prit une hache et d'un seul coup, enfonça une enclume dans le sol.
- Je ferai mieux, dit le jeune homme en s'approchant d'une autre enclume.
Le vieux se plaça à côté de lui, laissant pendre sa barbe blanche. Le garçon prit la hache, fendit l'enclume d'un seul coup et y coinça la barbe du vieux.
- Et voilà ! je te tiens ! dit-il, à toi de mourir maintenant !
Il saisit une barre de fer et se mit à rouer de coups le vieux jusqu'à ce que celui-ci éclatât en lamentations et le suppliât de s'arrêter en lui promettant mille trésors. Le jeune homme débloqua la hache et libéra le vieux qui le reconduisit au château et lui montra, dans une cave, trois caisses pleines d'or.
- Il y en a une pour les pauvres, une pour le roi et la troisième sera pour toi, lui dit-il.
Sur quoi, une heure sonna et le méchant esprit disparut. Le garçon se trouvait au milieu d'une profonde obscurité.
- Il faudra bien que je m'en sorte, dit-il. Il tâtonna autour de lui, retrouva le chemin de sa chambre et s'endormit auprès de son feu. Au matin, le roi arriva et dit :
- Alors, as-tu appris à frissonner ?
- Non, répondit le garçon, je ne sais toujours pas. J'ai vu mon cousin mort et un homme barbu est venu qui m'a montré beaucoup d'or. Mais personne ne m'a dit ce que signifie frissonner.
Le roi dit alors :
- Tu as libéré le château de ses fantômes et tu épouseras ma fille.
- Bonne chose ! répondit-il, mais je ne sais toujours pas frissonner.
On alla chercher l'or et les noces furent célébrées. Mais le jeune roi continuait à dire : « Si seulement j'avais peur, si seulement je pouvais frissonner ! » La reine finit par en être contrariée. Sa camériste dit :
- Je vais l'aider à frissonner.
Elle se rendit sur les bords du ruisseau qui coulait dans le jardin et se fit donner un plein seau de goujons. Durant la nuit, alors que son époux dormait, la princesse retira les couvertures et versa sur lui l'eau et les goujons, si bien que les petits poissons frétillaient tout autour de lui. Il s'éveilla et cria :
- Ah ! comme je frissonne, chère femme ! Ah ! Oui, maintenant je sais ce que c'est que de frissonner.
 

 

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Blanche Neige
 
  

Cela se passait en plein hiver et les flocons de neige tombaient du ciel comme un duvet léger. Une reine était assise à sa fenêtre encadrée de bois d'ébène et cousait. Tout en tirant l'aiguille, elle regardait voler les blancs flocons. Elle se piqua au doigt et trois gouttes de sang tombèrent sur la neige. Ce rouge sur ce blanc faisait si bel effet qu'elle se dit : Si seulement j'avais un enfant aussi blanc que la neige, aussi rose que le sang, aussi noir que le bois de ma fenêtre ! Peu de temps après, une fille lui naquit ; elle était blanche comme neige, rose comme sang et ses cheveux étaient noirs comme de l'ébène. On l'appela Blanche-Neige. Mais la reine mourut en lui donnant le jour.

Au bout d'une année, le roi épousa une autre femme. Elle était très belle ; mais elle était fière et vaniteuse et ne pouvait souffrir que quelqu'un la surpassât en beauté. Elle possédait un miroir magique. Quand elle s'y regardait en disant :
Miroir, miroir joli,
Qui est la plus belle au pays ?
Le miroir répondait :
Madame la reine, vous êtes la plus belle au pays.
Et elle était contente. Elle savait que le miroir disait la vérité. Blanche-Neige, cependant, grandissait et devenait de plus en plus belle. Quand elle eut atteint ses dix-sept ans elle était déjà plus jolie que le jour et plus belle que la reine elle-même. Un jour que celle-ci demandait au miroir :
Miroir, miroir joli,
Qui est la plus belle au pays ?
Celui-ci répondit :
Madame la reine, vous êtes la plus belle ici
Mais Blanche-Neige est encore mille fois plus belle.
La reine en fut épouvantée. Elle devint jaune et verte de jalousie. À partir de là, chaque fois qu'elle apercevait Blanche-Neige, son coeur se retournait dans sa poitrine tant elle éprouvait de haine à son égard. La jalousie et l'orgueil croissaient en elle comme mauvaise herbe. Elle en avait perdu le repos, le jour et la nuit. Elle fit venir un chasseur et lui dit :
- Emmène l'enfant dans la forêt ! je ne veux plus la voir. Tue-la et rapporte-moi pour preuve de sa mort ses poumons et son foie.
Le chasseur obéit et conduisit Blanche-Neige dans le bois. Mais quand il eut dégainé son poignard pour en percer son coeur innocent, elle se mit à pleurer et dit :
- 0, cher chasseur, laisse-moi la vie ! je m'enfoncerai au plus profond de la forêt et ne rentrerai jamais à la maison.
Et parce qu'elle était belle, le chasseur eut pitié d'elle et dit :
- Sauve-toi, pauvre enfant !
Les bêtes de la forêt auront tôt fait de te dévorer ! songeait-il. Et malgré tout, il se sentait soulagé de ne pas avoir dû la tuer. Un marcassin passait justement. Il le tua de son poignard, prit ses poumons et son foie et les apporta à la reine comme preuves de la mort de Blanche-Neige. Le cuisinier reçut ordre de les apprêter et la méchante femme les mangea, s'imaginant qu'ils avaient appartenu à Blanche-Neige.
La pauvre petite, elle, était au milieu des bois, toute seule. Sa peur était si grande qu'elle regardait toutes les feuilles de la forêt sans savoir ce qu'elle allait devenir. Elle se mit à courir sur les cailloux pointus et à travers les épines. Les bêtes sauvages bondissaient autour d'elle, mais ne lui faisaient aucun mal. Elle courut jusqu'au soir, aussi longtemps que ses jambes purent la porter. Elle aperçut alors une petite maisonnette et y pénétra pour s'y reposer. Dans la maisonnette, tout était minuscule, gracieux et propre. On y voyait une petite table couverte d'une nappe blanche, avec sept petites assiettes et sept petites cuillères, sept petites fourchettes et sept petits couteaux, et aussi sept petits gobelets. Contre le mur, il y avait sept petits lits alignés les uns à côté des autres et recouverts de draps tout blancs. Blanche-Neige avait si faim et si soif qu'elle prit dans chaque assiette un peu de légumes et de pain et but une goutte de vin dans chaque gobelet : car elle ne voulait pas
manger la portion tout entière de l'un des convives. Fatiguée, elle voulut ensuite se coucher. Mais aucun des lis ne lui convenait ; l'un était trop long, l'autre trop court. Elle les essaya tous. Le septième, enfin, fut à sa taille. Elle s'y allongea, se confia à Dieu et s'endormit.
Quand la nuit fut complètement tombée, les propriétaires de la maisonnette arrivèrent. C'était sept nains qui, dans la montagne, travaillaient à la mine. Ils allumèrent leurs sept petites lampes et quand la lumière illumina la pièce, ils virent que quelqu'un y était venu, car tout n'était plus tel qu'ils l'avaient laissé.
- Le premier dit : Qui s'est assis sur ma petite chaise ?
- Le deuxième : Qui a mangé dans ma petite assiette ?
- Le troisième : Qui a pris de mon pain ?
- Le quatrième : Qui a mangé de mes légumes ?
- Le cinquième : Qui s'est servi de ma fourchette ?
- Le sixième : Qui a coupé avec mon couteau ?
- Le septième : Qui a bu dans mon gobelet ?
Le premier, en se retournant, vit que son lit avait été dérangé.

- Qui a touché à mon lit ? dit-il.
Les autres s'approchèrent en courant et chacun s'écria :
- Dans le mien aussi quelqu'un s'est couché !
Mais le septième, quand il regarda son lit, y vit Blanche-Neige endormie. Il appela les autres, qui vinrent bien vite et poussèrent des cris étonnés. Ils prirent leurs sept petites lampes et éclairèrent le visage de Blanche-Neige.
- Seigneur Dieu ! Seigneur Dieu ! s'écrièrent-ils ; que cette enfant est jolie !
Ils en eurent tant de joie qu'ils ne l'éveillèrent pas et la laissèrent dormir dans le petit lit. Le septième des nains coucha avec ses compagnons, une heure avec chacun, et la nuit passa ainsi.
Au matin, Blanche-Neige s'éveilla. Quand elle vit les sept nains, elle s'effraya. Mais ils la regardaient avec amitié et posaient déjà des questions :
- Comment t'appelles-tu ?
- Je m'appelle Blanche-Neige, répondit-elle.

- Comment es-tu venue jusqu'à nous ?
Elle leur raconta que sa belle-mère avait voulu la faire tuer, mais que le chasseur lui avait laissé la vie sauve et qu'elle avait ensuite couru tout le jour jusqu'à ce qu'elle trouvât cette petite maison. Les nains lui dirent :
- Si tu veux t'occuper de notre ménage, faire à manger, faire les lits, laver, coudre et tricoter, si tu tiens tout en ordre et en propreté, tu pourras rester avec nous et tu ne manqueras de rien.
- D'accord, d'accord de tout mon coeur, dit Blanche-Neige.
Et elle resta auprès d'eux. Elle s'occupa de la maison. le matin, les nains partaient pour la montagne où ils arrachaient le fer et l'or ; le soir, ils s'en revenaient et il fallait que leur repas fût prêt. Toute la journéè, la jeune fille restait seule ; les bons petits nains l'avaient mise en garde :
- Méfie-toi de ta belle-mère ! Elle saura bientôt que tu es ici ; ne laisse entrer personne !
La reine, cependant, après avoir mangé les poumons et le foie de Blanche-Neige, s'imaginait qu'elle était redevenue la plus belle de toutes. Elle se mit devant son miroir et demanda :
Miroir, miroir joli,
Qui est la plus belle au pays ?
Le miroir répondit :
Madame la reine, vous êtes la plus belle ici,
Mais, par-delà les monts d'airain,
Auprès des gentils petits nains,
Blanche-Neige est mille fois plus belle.
La reine en fut bouleversée ; elle savait que le miroir ne pouvait mentir. Elle comprit que le chasseur l'avait trompée et que Blanche-Neige était toujours en vie. Elle se creusa la tête pour trouver un nouveau moyen de la tuer car aussi longtemps qu'elle ne serait pas la plus belle au pays, elle savait que la jalousie ne lui laisserait aucun repos. Ayant finalement découvert un stratagème, elle se farda le visage et s'habilla comme une vieille marchande ambulante. Elle était méconnaissable.
Ainsi déguisée, elle franchit les sept montagnes derrière lesquelles vivaient les sept nains. Elle frappa à la porte et dit :
- J'ai du beau, du bon à vendre, à vendre !
Blanche-Neige regarda par la fenêtre et dit :
- Bonjour, cher Madame, qu'avez-vous à vendre ?
- De la belle, de la bonne marchandise, répondit-elle, des corselets de toutes les couleurs.
Elle lui en montra un tressé de soie multicolore. v« Je peux bien laisser entrer cette honnête femme ! » se dit Blanche-Neige. Elle déverrouilla la porte et acheta le joli corselet.
- Enfant ! dit la vieille. Comme tu t'y prends ! Viens, je vais te l'ajuster comme il faut !
Blanche-Neige était sans méfiance. Elle se laissa passer le nouveau corselet. Mais la vieille serra rapidement et si fort que la jeune fille perdit le souffle et tomba comme morte.
- Et maintenant, tu as fini d'être la plus belle, dit la vieille en s'enfuyant.

Le soir, peu de temps après, les sept nains rentrèrent à la maison. Quel effroi fut le leur lorsqu'ils virent leur chère Blanche-Neige étendue sur le sol, immobile et comme sans vie ! Ils la soulevèrent et virent que son corselet la serrait trop. Ils en coupèrent vite le cordonnet. La jeune fille commença à respirer doucement et, peu à peu, elle revint à elle. Quand les nains apprirent ce qui s'était passé, ils dirent :
- La vieille marchande n'était autre que cette mécréante de reine. Garde-toi et ne laisse entrer personne quand nous ne serons pas là !
La méchante femme, elle, dès son retour au château, s'était placée devant son miroir et avait demandé :
Miroir, Miroir joli,
Qui est la plus belle au pays ?
Une nouvelle fois, le miroir avait répondu :
Madame la reine, vous êtes la plus belle ici.
Mais, par-delà les monts d'airain,
Auprès des gentils petits nains,
Blanche-Neige est mille fois plus belle.
Quand la reine entendit ces mots, elle en fut si bouleversée qu'elle sentit son coeur étouffer. Elle comprit que Blanche-Neige avait recouvré la vie.
- Eh bien ! dit-elle, je vais trouver quelque moyen qui te fera disparaître à tout jamais !
Par un tour de sorcellerie qu'elle connaissait, elle empoisonna un peigne. Elle se déguisa à nouveau et prit l'aspect d'une autre vieille femme.
Elle franchit ainsi les sept montagnes en direction de la maison des sept nains, frappa à la porte et cria :
- Bonne marchandise à vendre !
Blanche-Neige regarda par la fenêtre et dit :
- Passez votre chemin ! je n'ai le droit d'ouvrir à quiconque.
- Mais tu peux bien regarder, dit la vieille en lui montrant le peigne empoisonné. Je vais te peigner joliment.
La pauvre Blanche-Neige ne se douta de rien et laissa faire la vieille ; à peine le peigne eut-il touché ses cheveux que le poison agit et que la jeune fille tomba sans connaissance.
- Et voilà ! dit la méchante femme, c'en est fait de toi, prodige de beauté !
Et elle s'en alla. Par bonheur, le soir arriva vite et les sept nains rentrèrent à la maison. Quand ils virent Blanche-Neige étendue comme morte sur le sol, ils songèrent aussitôt à la marâtre, cherchèrent et trouvèrent le peigne empoisonné. Dès qu'ils l'eurent retiré de ses cheveux, Blanche-Neige revint à elle et elle leur raconta ce qui s'était passé. Ils lui demandèrent une fois de plus d'être sur ses gardes et de n'ouvrir à personne.

Rentrée chez elle, la reine s'était placée devant son miroir et avait demandé :
Miroir, miroir joli,
Qui est la plus belle au Pays ?
Comme la fois précédente, le miroir répondit :
Madame la reine, vous êtes la plus belle ici.
Mais, par-delà les monts d'airain,
Auprès des gentils petits nains,
Blanche-Neige est mille fois plus belle.
Quand la reine entendit cela, elle se mit à trembler de colère.
- Il faut que Blanche-Neige meure ! s'écria-t-elle, dussé-je en périr moi-même !
Elle se rendit dans une chambre sombre et isolée où personne n'allait jamais et y prépara une pomme empoisonnée. Extérieurement, elle semblait belle, blanche et rouge, si bien qu'elle faisait envie à quiconque la voyait ; mais il suffisait d'en manger un tout petit morceau pour mourir.
Quand tout fut prêt, la reine se farda le visage et se déguisa en paysanne. Ainsi transformée, elle franchit les sept montagnes pour aller chez les sept nains. Elle frappa à la porte. Blanche-Neige se pencha à la fenêtre et dit :
- Je n'ai le droit de laisser entrer quiconque ici ; les sept nains me l'ont interdit.
- D'accord ! répondit la paysanne. J'arriverai bien à vendre mes pommes ailleurs ; mais je vais t'en offrir une.
- Non, dit Blanche-Neige, je n'ai pas le droit d'accepter quoi que ce soit.
- Aurais-tu peur d'être empoisonnée ? demanda la vieille. Regarde : je partage la pomme en deux ; tu mangeras la moitié qui est rouge, moi, celle qui est blanche.
La pomme avait été traitée avec tant d'art que seule la moitié était empoisonnée. Blanche-Neige regarda le fruit avec envie et quand elle vit que la paysanne en mangeait, elle ne put résister plus longtemps. Elle tendit la main et prit la partie empoisonnée de la pomme. À peine y eut-elle mis les dents qu'elle tomba morte sur le sol. La reine la regarda de ses yeux méchants, ricana et dit :
- Blanche comme neige, rose comme sang, noir comme ébène ! Cette fois-ci, les nains ne pourront plus te réveiller !
Et quand elle fut de retour chez elle, et demanda au miroir :
Miroir, miroir joli,
Qui est la plus belle au pays ?
Celui-ci répondit enfin :
Madame la reine, vous êtes la plus belle au pays.
Et son coeur jaloux trouva le repos, pour autant qu'un coeur jaloux puisse le trouver.
Quand, au soir, les petits nains arrivèrent chez eux, ils trouvèrent Blanche-Neige étendue sur le sol, sans souffle. Ils la soulevèrent, cherchèrent s'il y avait quelque chose d'empoisonné, défirent son corselet, coiffèrent ses cheveux, la lavèrent avec de l'eau et du vin. Mais rien n'y fit : la chère enfant était morte et morte elle restait. Ils la placèrent sur une civière, s'assirent tous les sept autour d'elle et pleurèrent trois jours durant. Puis ils se préparèrent à l'enterrer. Mais elle était restée fraîche comme un être vivant et ses jolies joues étaient roses comme auparavant.
Ils dirent :
- Nous ne pouvons la mettre dans la terre noire.
Ils fabriquèrent un cercueil de verre transparent où on pourrait la voir de tous les côtés, l'y installèrent et écrivirent dessus son nom en lettres d'or, en ajoutant qu'elle était fille de roi. Ils portèrent le cercueil en haut de la montagne et l'un d'eux, sans cesse, monta la garde auprès de lui.
Longtemps Blanche-Neige resta ainsi dans son cercueil toujours aussi jolie. Il arriva qu'un jour un prince qui chevauchait par la forêt s'arrêta à la maison des nains pour y passer la nuit. Il vit le cercueil au sommet de la montagne, et la jolie Blanche-Neige. Il dit aux nains :
- Laissez-moi le cercueil ; je vous en donnerai ce que vous voudrez.
Mais les nains répondirent :
- Nous ne vous le donnerons pas pour tout l'or du monde.
Il dit :
- Alors donnez-le-moi pour rien ; car je ne pourrai plus vivre sans voir Blanche-Neige ; je veux lui rendre honneur et respect comme à ma bien-aimée.
Quand ils entendirent ces mots, les bons petits nains furent saisis de compassion et ils lui donnèrent le cercueil. Le prince le fit emporter sur les épaules de ses serviteurs. Comme ils allaient ainsi, l'un d'eux buta sur une souche. La secousse fit glisser hors de la gorge de Blanche-Neige le morceau de pomme empoisonnée qu'elle avait mangé. Bientôt après, elle ouvrit les yeux, souleva le couvercle du cercueil et se leva. Elle était de nouveau vivante !
- Seigneur, où suis-je ? demanda-t-elle.
- Auprès de moi, répondit le prince, plein d'allégresse.
Il lui raconta ce qui s'était passé, ajoutant :
- Je t'aime plus que tout au monde ; viens avec moi, tu deviendras ma femme.
Blanche-Neige accepta. Elle l'accompagna et leurs noces furent célébrées avec magnificence et splendeur.
La méchante reine, belle-mère de Blanche-Neige, avait également été invitée au mariage. Après avoir revêtu ses plus beaux atours, elle prit place devant le miroir et demanda :
Miroir, miroir joli,
Qui est la plus belle au pays ?
Le miroir répondit :
Madame la reine, vous êtes la plus belle ici,
Mais la jeune souveraine est mille fois plus belle.
La méchante femme proféra un affreux juron et elle eut si peur, si peur qu'elle en perdit la tête.
 

 
 

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Cendrillon
 
  

Sentant sa fin venir, la femme d'un homme très riche appela sa fille unique auprès de son lit et lui tint ce langage :
- Chère enfant, reste pieuse et bonne. Dieu te sera toujours secourable, et moi, du haut du ciel, je veillerai sur toi.
Sur quoi, elle ferma les yeux et mourut. La petite fille, chaque jour, se rendit sur sa tombe et resta pieuse et bonne. Lorsque vint l'hiver, la neige recouvrit la tombe d'un blanc manteau que le soleil fit fondre au printemps. Alors, le père se choisit une nouvelle femme.
Cette femme avait amené avec elle deux filles, belles et à la peau bien blanche, mais dont le coeur était laid et noir. Une triste période commença pour la pauvre petite.
- Cette oie stupide doit-elle habiter dans la même chambre que nous ? demandaient les deux filles.
- Qui veut manger doit travailler. À la cuisine avec la servante !
Elles lui arrachèrent ses beaux habits, lui jetèrent un vieux sarrau gris et lui donnèrent des sabots de bois.
- Regardez, comme elle est propre, la fière princesse ! s'écrièrent-elles en riant.
Et elles la conduisirent dans la cuisine. Du matin au soir, elle dut s'y livrer aux pires besognes, se lever avant le jour, porter des seaux d'eau, allumer le feu, faire la cuisine, balayer. Par-dessus le marché, les deux soeurs lui faisaient les pires misères, crachaient sur elle, répandaient les petits pois et les lentilles dans les cendres pour qu'elle soit obligée de les trier à nouveau. Le soir, quand elle était morte de fatigue, elle n'avait même pas un lit pour se reposer : elle devait se coucher dans la cendre, près du foyer. Et comme elle paraissait désormais toujours poussiéreuse et sale, on l'appela Cendrillon.

Un jour que le père avait décidé de se rendre à la foire, il demanda à ses deux belles-filles ce qu'il devrait leur en rapporter.
- De beaux vêtements, dit l'une.
- Des perles et des diamants, dit l'autre.
- Et toi, Cendrillon, dit le père, que veux-tu ?
- Cueillez pour moi, répondit-elle, la première petite branche qui heurtera votre chapeau.
Le père acheta donc pour ses belles-filles de beaux habits, des perles et des diamants. Sur le chemin du retour, comme il chevauchait à travers un fourré, un brin de noisetier l'effleura et fit tomber son chapeau. il coupa le rameau et l'emporta avec lui. Lorsqu'il arriva à la maison, il donna aux deux soeurs ce qu'elles avaient demandé. À Cendrillon, il remit le rameau de noisetier. Cendrillon le remercia, se rendit sur la tombe de sa mère et y planta la petite branche. Elle pleurait si fort que le rameau fut tout arrosé de larmes. Il poussa et devint un bel arbre. Cendrillon se rendait auprès de lui trois fois par jour pour pleurer et prier. Et, chaque fois, un petit oiseau blanc se posait sur l'arbre. Lorsqu'elle demandait quelque chose, du haut des branches, il lui lançait ce qu'elle désirait.
Il arriva que le roi organisa une fête qui devait durer trois jours et à laquelle les plus jolies filles du pays étaient invitées pour que son fils pût, parmi elles, trouver une épouse. Lorsque les deux soeurs apprirent qu'elles pourraient s'y rendre, toutes joyeuses, elles appelèrent Cendrillon et lui dirent :
- Coiffe-nous, brosse nos souliers, attache nos ceintures. Nous allons à la fête au château du roi.
Cendrillon obéit, pleura parce qu'elle aurait bien voulu aller danser aussi et en demanda l'autorisation à sa marâtre.
- Toi, Cendrillon, toi pleine de poussière et de saleté tu voudrais aller à la fête ! Tu n'as ni vêtements ni souliers et tu voudrais danser !
Finalement, pour répondre à ses prières, elle lui dit :
- Tiens, j'ai versé une casserolée de lentilles dans les cendres ; si tu réussis à les trier en l'espace de deux heures, tu pourras y aller.
La jeune fille sortit par la porte de derrière et cria :
- Douces colombes, gentilles tourterelles, oh ! vous, tous les oiseaux du ciel, venez et aidez-moi à trier :
les bonnes dans mon petit pot
les mauvaises dans votre jabot !
Voilà qu'arrivent à la fenêtre de la cuisine deux pigeons blancs, et puis des tourterelles ; finalement, tous les oiseaux du ciel, sifflant et volant, s'abattent dans les cendres. Et les pigeons commencèrent à picorer, pic, pic, et les autres aussi, pic, pic, pic, mettant toutes les bonnes graines dans le petit pot. Une heure à peine était écoulée, tout était fini et les oiseaux s'étaient de nouveau envolés. La jeune fille apporta la casserole à la marâtre, tout heureuse, s'imaginant qu'elle pourrait aller à la fête. Mais la méchante femme dit :
- Non, Cendrillon, tu n'as pas d'habits et tu ne sais pas danser. On se moquerait de toi.
Comme Cendrillon pleurait, elle lui dit :
- Si tu parviens à trier deux casserolées de lentilles en une heure, tu pourras venir.
Elle pensait : « Elle n'y arrivera jamais. » Après qu'elle eut jeté deux casserolées de lentilles dans les cendres, Cendrillon sortit de la cuisine par la porte de derrière et appela :
- Douces colombes, gentilles tourterelles, Oh ! vous, tous les oiseaux du ciel, venez et aidez-moi à trier :
les bonnes dans mon petit pot
les mauvaises dans votre jabot !
Deux pigeons blancs arrivent à la fenêtre, suivis des tourterelles ; finalement tous les oiseaux du ciel, sifflant et volant, s'abattent dans les cendres. Et les pigeons commencèrent à picorer, pic pic, pic, et les autres aussi ; pic, pic, pic, mettant toutes les bonnes graines dans le petit pot. Avant qu'une demi-heure ne fût écoulée, ils avaient déjà fini et reprenaient leur vol. La jeune fille porta la casserole à sa belle-mère, se réjouissant et croyant qu'elle pourrait aller à la fête. Mais la marâtre dit :
- Ce que tu as fait ne te servira de rien ; tu ne viendras pas parce que tu n'as pas de robe et que tu ne sais pas danser, tu nous ferais honte.

Elle lui tourna le dos et se hâta de se préparer avec ses deux filles orgueilleuses.
Quand tout le monde eut quitté la maison, Cendrillon s'en alla sur la tombe de sa mère, sous le noisetier, et dit :
- Cher petit arbre, secoue-toi, secoue-toi, jette de l'or et de l'argent sur moi. L'oiseau lui lança une robe d'or et d'argent et des pantoufles tressées de soie et d'argent. Elle revêtit la robe en toute hâte et se rendit au château. Ses soeurs et sa belle-mère ne la reconnurent pas et s'imaginèrent qu'il s'agissait d'une princesse étrangère, tant elle était belle dans sa robe d'or. Elles ne pensaient pas du tout à Cendrillon et la croyaient assise dans la saleté, cherchant des lentilles dans la cendre. Le fils du roi vint à sa rencontre, la prit par la main et dansa avec elle. Il ne voulut danser avec personne d'autre, de sorte qu'il ne lâchait pas sa main. Quand quelqu'un voulait l'inviter, il disait :
- C'est ma cavalière.
Elle dansa jusqu'au soir. Quand elle voulut se retirer, le prince dit :
- Je vais avec toi, je t'accompagne.
Il voulait savoir qui était la jolie jeune fille. Elle se sauva et alla se cacher dans le pigeonnier. Le prince attendit qu'arrivât le père et lui dit que la jeune étrangère s'était réfugiée dans le pigeonnier. Le vieux se dit : « Serait-ce Cendrillon ? » Il se fit apporter une hache et une pioche pour démolir le pigeonnier, mais il n'y trouva personne.
Lorsqu'ils arrivèrent à la maison, Cendrillon, vêtue de ses habits sales, était couchée dans la cuisine. Une misérable lampe à huile brûlait sur la cheminée ; car Cendrillon avait vivement quitté le pigeonnier par-derrière et avait couru vers le noisetier. Elle avait retiré ses beaux habits, les avait déposés sur la tombe et l'oiseau les avait repris ; puis, dans ses vieux vêtements, elle était allée se coucher dans la cendre.
Le lendemain, comme la fête recommençait, et que les parents et les deux filles étaient de nouveau partis, Cendrillon s'en fut sous le noisetier et dit :
- Cher petit arbre, secoue-toi, secoue-toi, jette de l'or et de l'argent sur moi. Alors l'oiseau lui lança une robe encore bien plus belle que celle de la veille. Lorsqu'elle arriva à la fête, chacun fut saisi d'admiration devant sa beauté. Le prince, qui l'avait attendue, la prit par la main et ne dansa qu'avec elle. Quand d'autres venaient pour l'inviter, il disait :
- C'est ma cavalière.

Quand le soir fut venu, elle voulut s'en aller. Le prince la suivit pour voir dans quelle maison elle irait. Mais elle s'enfuit dans le jardin, derrière la maison. Il s'y trouvait un grand arbre, magnifique, auquel pendaient des poires splendides. Elle grimpa dans ses branches, agile comme un écureuil, et le fils du roi se demanda où elle était passée. Il attendit que vint le père et lui dit :
- La jeune étrangère m'a échappé et je crois qu'elle a grimpé dans le poirier.
Le père pensa : « Serait-ce Cendrillon ? », il se fit apporter une hache et abattit l'arbre mais il n'y avait personne dessus. Et lorsqu'ils arrivèrent tous à la maison, Cendrillon était couchée dans la cendre, comme d'habitude car elle avait sauté de l'autre côté de l'arbre, rendu ses beaux vêtements à l'oiseau du noisetier et revêtu son sarrau gris.
Le troisième jour, quand les parents et les deux filles furent partis, Cendrillon se dirigea de nouveau vers la tombe de sa mère et dit au noisetier :
- Cher petit arbre, secoue-toi, secoue-toi, jette de l'or et de l'argent sur moi. Alors l'oiseau lui lança une robe plus merveilleuse et plus brillante que les autres, et les souliers étaient d'or massif. Lorsque ainsi vêtue elle arriva à la fête, tout le monde resta muet d'admiration. Le fils du roi ne dansa qu'avec elle et quand quelqu'un voulait l'inviter, il disait :
- C'est ma cavalière.
Quand le soir tomba, Cendrillon voulut s'en aller et le prince l'accompagner ; elle lui échappa avec tant de rapidité qu'il ne put la suivre. Mais il avait préparé un piège : il avait fait enduire l'escalier de poix. Lorsque la jeune fille s'y précipita, sa pantoufle gauche y resta collée. Le prince la ramassa : elle était petite, mignonne et tout en or.
Le lendemain matin, il se rendit avec elle auprès de l'homme et lui dit :
- Personne d'autre ne sera ma femme qui ne puisse mettre cette pantoufle.
Les deux soeurs se réjouirent, car elles avaient de jolis pieds. L'aînée emporta la pantoufle dans sa chambre et voulut l'essayer ; et sa mère se tenait auprès d'elle. Mais, malgré tous ses efforts, elle ne put l'enfiler : la pantoufle était trop petite. La mère lui tendit un couteau et dit : « Coupe-toi les orteils ; lorsque tu seras reine, tu n'auras plus besoin de marcher. » La jeune fille coupa, enfonça son pied dans la pantoufle, avala sa douleur et se rendit auprès du prince. Il en fit sa fiancée, la plaça sur son cheval et partit au galop. Mais il leur fallait passer devant la tombe ; deux petits pigeons étaient perchés sur le noisetier. Il crièrent :
Crou, crou, crou, crou,
dans la pantoufle il y a du sang partout ;
la pantoufle est bien trop petite,
la vraie fiancée est encore au gîte.
Le prince regarda les pieds de la jeune fille, vit que du sang coulait. Il fit faire demi-tour à son cheval, ramena la fausse fiancée chez elle, dit que ce n'était pas la bonne, que l'autre soeur devait essayer la pantoufle. Celle-ci alla dans sa chambre. Ses orteils entraient dans la pantoufle, mais le talon était trop gros. Sa mère lui tendit un couteau et dit :
- Coupe un morceau du talon. lorsque tu seras reine, tu ne seras plus obligée de marcher.
La jeune fille coupa un morceau du talon, avala sa douleur et revint auprès du prince. Il en fit sa fiancée, la plaça sur son cheval et partit au galop. Comme ils passaient devant le noisetier, deux pigeons qui y étaient posés crièrent :
Crou, crou, crou, crou,
dans la pantoufle il y a du sang partout ;
la pantoufle est bien trop petite,
la vraie fiancée est encore au gîte.
Le prince regarda les pieds de la jeune fille, vit que du sang coulait de la pantoufle et que le bas blanc était devenu tout rouge. Il fit faire demi-tour à son cheval et ramena la fausse fiancée chez elle.
- Ce n'est pas la bonne non plus, dit-il ; n'avez-vous pas d'autre fille ?
- Non, dit l'homme, il n'y a qu'une vilaine petite Cendrillon, fille de ma première femme.
Le prince demanda qu'on la lit venir. Mais la mère répondit :
- Ah non, elle est bien trop sale ! On ne peut pas la montrer.
Malgré tout, le prince voulut la voir et il fallut faire venir Cendrillon. Elle se lava les mains et le visage, s'approcha et fit révérence devant le fils du roi qui lui tendit la pantoufle d'or. Elle s'assit sur un tabouret, retira son pied du noir sabot et enfila la pantoufle : c'était comme si elle avait été faite sur mesure ! Lorsqu'elle se releva et que le prince la regarda dans les yeux, il reconnut la jolie fille qui avait dansé avec lui et il s'écria :
- Voilà ma vraie fiancée !
La marâtre et ses deux filles avaient peur ; elles devinrent blêmes de colère ; mais le prince prit Cendrillon sur son cheval et partit au galop. Les noces furent bientôt célébrées.
 

 
 

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Chat et souris associés
 
  

Le chat fit la connaissance d'une souris. Il l'assura si bien que ses sentiments envers elle étaient amicaux et chaleureux que la souris se laissa convaincre et finit par accepter de vivre avec le chat, sous le même toit.
- Il nous faudra faire nos réserves de nourriture pour l'hiver, dit le chat, sinon nous risquons de mourir de faim. Toi, ma petite souris, tu ne peux pas aller partout, tu pourrais te faire prendre dans un piège.
C'était une bonne idée. Ils achetèrent alors un petit pot de saindoux mais ne savaient pas où le cacher. Ils réfléchirent longtemps et, finalement, le chat décida :
- Sais-tu ce que nous allons faire ? Nous le cacherons dans l'église ; on ne peut imaginer meilleure cachette ! Personne n'oserait emporter quelque chose d'une église. Nous poserons le pot sous l'autel et nous ne l'entamerons qu'en cas de nécessité absolue.
Ils portèrent donc le pot en ce lieu sûr, mais très vite le chat eut envie de saindoux. Il dit à la souris:
- Je voulais te dire, ma petite souris, ma cousine m'a demandé d'être le parrain de leur petit dernier. Ils ont eu un petit, blanc avec des taches marron et je dois le tenir pendant le baptême. Laisse-moi y aller, et occupe-toi aujourd'hui de la maison toute seule, veux-tu ?
- Bien sûr, sans problème, acquiesça la souris, vas-y, si tu veux, et pense à moi quand tu mangeras des bonnes choses. J'aurais bien voulu, moi aussi, goûter de ce bon vin doux qu'on donne aux jeunes mamans.
Mais tout cela était faux ; le chat n'avait pas de cousine et personne ne lui avait demandé d'être parrain. Il s'empressa d'aller à l'église, rampa jusqu'au petit pot de saindoux et lécha jusqu'à avoir mangé toute la graisse du dessus. Ensuite, il partit se promener sur les toits pour voir ce qui se passait dans le monde, et puis surtout pour trouver encore quelque chose de bon à manger. Puis il s'allongea au soleil. Et chaque fois qu'il se souvenait du petit pot de saindoux, il se léchait les babines et se caressait la moustache. Il ne rentra à la maison que dans la soirée.
- Te voilà enfin de retour ! l'accueillit la petite souris. T'es-tu bien amusé ? Vous avez dù bien rire.
- Oui, ce n'était pas mal, répondit le chat.
- Et quel nom avez-vous donné à ce chaton ? demanda la souris.
- Sanledessu, répondit sèchement le chat.
- Sanledessu ? chicota la souris, quel drôle de nom ! Assez rare, dirais-je. Est-il courant dans votre famille ?
- Tu peux dire ce que tu veux, rétorqua le chat, mais ce n'est pas pire que Volemiettes, le nom de tes filleuls.
Peu de temps après, le chat se sentit de nouveau l'eau venir à la bouche.
- Sois gentille, supplia-t-il, occupe-toi encore une fois de la maison toute seule. Fais cela pour moi, petite souris ; on m'a encore demandé d'être le parrain. Le chaton a une collerette blanche au cou, je ne peux pas refuser.
La gentille souris fut d'accord. Et le chat se glissa à travers le mur de la ville, s'introduisit dans l'église et vida la moitié du pot de saindoux.
- Rien à faire, se dit-il, c'est bien meilleur quand on mange tout seul.
Et il se félicita de son exploit.
Lorsqu'il arriva à la maison, la petite souris demanda :
- Comment avez-vous baptisé le bébé ?
- Miparti, répondit le chat.
- Miparti ? Pas possible ! je n'ai jamais entendu un nom pareil. Je parie qu'il n'est même pas dans le calendrier.
Le chat ne tarda pas à se sentir de nouveau l'eau à la bouche en pensant au pot de saindoux.
- Jamais deux sans trois, dit-il à la souris. On me demande de nouveau d'être le parrain. L'enfant est tout noir, seules les pattes sont blanches, elles mis à part, il n'a pas un seul poil blanc. Un enfant comme ça ne nait qu'une fois par siècle ! Tu me laisseras y aller, n'est-ce pas ?
- Sanledessu ! Miparti ! répondit la souris, ce sont des noms si étranges. Cela ne s'est jamais vu. Ils me trottent dans la tête sans arrêt.
- C'est parce que tu restes tout le temps ici, avec ta vilaine robe gris foncé à longue natte, tu passes toutes tes journées enfermée ici, pas étonnant que tout se brouille dans ta tête, dit le chat. Voilà ce qui arrive quand on passe sa vie dans ses pantoufles.
Le chat parti, la petite souris fit le ménage dans toute la maison. Pendant ce temps-là, le chat gourmand vida entièrement le pot de saindoux.
- Et voilà, pensa-t-il, maintenant que j'ai tout mangé, je ne serai plus tenté.
Si repu qu'il s'essoufflait en marchant, il ne rentra à la maison que la nuit, mais serein.
La petite souris lui demanda aussitôt le nom du troisième chaton.
- Je suis sûr que tu n'aimeras pas, répondit le chat. Il s'appelle Toufini.
- Toufini ! chicota la souris. Cela parait suspect, ce nom ne me dit rien qui vaille. Je ne l'ai jamais vu imprimé quelque part. Toufini ! Qu'est ce que cela veut dire, en fait ?
Elle hocha la tête, se roula en boule et s'endormit.
Depuis ce jour, plus personne n'invita le chat à un baptême.
L'hiver arriva, et dehors, il n'y avait rien à manger. La petite souris se rappela qu'ils avaient quelque chose en réserve.
- Viens, mon chat, allons chercher notre pot de saindoux que nous avons caché pour les temps durs. On va se régaler.
- Tu te régaleras, tu te régaleras, marmonna le chat, cela sera comme si tu sortais ta petite langue fine par la fenêtre.
Ils s'en allèrent et lorsqu'ils arrivèrent dans l'église, le pot était toujours à sa place mais vide.
- « Ça y est, dit la souris, je comprends tout, j'y vois clair à présent. Tu parles d'un ami ! Tu as tout mangé quand tu allais « faire le parrain » : d'abord « Sanledessu », puis « Miparti » et pour finir...
- Tais-toi, coupa le chat, encore un mot et je te mange !
Mais la petite souris avait le « Toufini » sur la langue, et à peine l'eut-elle prononcé que le chat lui sauta dessus, l'attrapa et la dévora.
Eh oui, ainsi va le monde.
 

 
 

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