Les présents des gnomes
 
  

Un tailleur et un forgeron voyageaient ensemble. Un soir, comme le soleil venait de se coucher derrière les montagnes, ils entendirent de loin le bruit d'une musique qui devenait plus claire à mesure qu'ils approchaient. C'était un son extraordinaire, mais si charmant qu'ils oublièrent toute leur fatigue pour se diriger à grands pas de ce côté. La lune était déjà levée, quand ils arrivèrent à une colline sur laquelle ils virent une foule de petits hommes et de petites femmes qui dansaient en rond d'un air joyeux, en se tenant par la main ; ils chantaient en même temps d'une façon ravissante, et c'était cette musique que les voyageurs avaient entendue. Au milieu se tenait un vieillard un peu plus grand que les autres, vêtu d'une robe de couleurs bariolées, et portant une barbe blanche qui lui descendait sur la poitrine. Les deux compagnons restaient immobiles d'étonnement en regardant la danse. Le vieillard leur fit signe d'entrer, et les petits danseurs ouvrirent leur cercle. Le forgeron entra sans hésiter : il avait le dos un peu rond, et il était hardi comme tous les bossus. Le tailleur eut d'abord un peu de peur et se tint en arrière mais, quand il vit que tout se passait si gaiement, il prit courage et entra aussi. Aussitôt le cercle se referma, et les petits êtres se remirent à chanter et à danser en faisant des bonds prodigieux ; mais le vieillard saisit un grand couteau qui était pendu à sa ceinture, se mit à le repasser, et quand il l'eut assez affilé, se tourna du côté des étrangers. Ils étaient glacés d'effroi ; mais leur anxiété ne fut pas longue : le vieillard s'empara du forgeron, et en un tour de main il lui eut rasé entièrement les cheveux et la barbe ; puis il en fit autant au tailleur. Quand il eut fini, il leur frappa amicalement sur l'épaule, comme pour leur dire qu'ils avaient bien fait de se laisser raser sans résistance, et leur peur se dissipa. Alors il leur montra du doigt un tas de charbon qui était tout près de là, et leur fit signe d'en remplir leurs poches. Tous deux obéirent sans savoir à quoi ces charbons leur serviraient, et ils continuèrent leur route afin de chercher un gîte pour la nuit. Comme ils arrivaient dans la vallée, la cloche d'un monastère voisin sonna minuit : à l'instant même le chant s'éteignit, tout disparut, et ils ne virent plus que la colline déserte éclairée par la lune.
Les deux voyageurs trouvèrent une auberge et se couchèrent sur la paille tout habillés, mais la fatigue leur fit oublier de se débarrasser de leurs charbons. Un fardeau inaccoutumé qui pesait sur eux les réveilla plus tôt qu'a l'ordinaire. Ils portèrent la main à leurs poches, et ils n'en voulaient pas croire leurs yeux quand ils virent qu'elles étaient pleines, non pas de charbons, mais de lingots d'or pur. Leur barbe et leurs cheveux avaient aussi repoussé merveilleusement. Désormais ils étaient riches ; seulement le forgeron qui, par suite de sa nature avide, avait mieux rempli ses poches, possédait le double de ce qu'avait le tailleur. Mais un homme cupide veut toujours avoir plus que ce qu'il a. Le forgeron proposa au tailleur d'attendre encore un jour et de retourner le soir près du vieillard pour gagner de nouveaux trésors. Le tailleur refusa, disant :
- J'en ai assez, et je suis content ; je veux seulement devenir maître en mon métier et épouser mon charmant objet (il appelait ainsi sa promise) ; et je serai un homme heureux.
Cependant pour faire plaisir à l'autre, il consentit à rester un jour encore.
Le soir, le forgeron prit deux sacs sur ses épaules pour emporter bonne charge, et il se mit en route vers la colline. Comme la nuit précédente il trouva les petites gens chantant et dansant ; le vieillard le rasa et lui fit signe de prendre des charbons. Il n'hésita pas à emplir ses poches et ses sacs, tant qu'il y en put entrer, s'en retourna joyeux à l'auberge et se coucha tout habillé.
- Quand mon or commencera à peser, se dit-il je le sentirai bien.
Et il s'endormit enfin dans la douce espérance de s'éveiller le lendemain matin riche comme un Crésus.
Dès qu'il eut les yeux ouverts, son premier soin fut de visiter ses poches ; mais il eut beau fouiller dedans, il n'y trouva que des charbons tout noirs. « Au moins, pensait- il, il me reste l'or que j'ai gagné l'autre nuit. » Il y alla voir ; hélas ! cet or aussi était redevenu charbon. Il porta à son front sa main noircie, et il sentit que sa tête était chauve et rase ainsi que son menton. Pourtant il ne connaissait pas encore tout son malheur : il vit bientôt qu'à la bosse qu'il portait par derrière s'en était jointe une autre par devant.
Il sentit alors qu'il recevait le châtiment de sa cupidité et se mit à pousser des gémissements. Le bon tailleur, éveillé par ses lamentations, le consola de son mieux et lui dit :
- Nous sommes compagnons, nous avons fait notre tournée ensemble ; reste avec moi, mon trésor nous nourrira tous deux.
Il tint parole, mais le forgeron fut obligé de porter toute sa vie ses deux bosses et de cacher sous un bonnet sa tête dépouillée de cheveux
 

 
 

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Les sept souabes
 
  

Il était une fois sept habitants de la Souabe. Le premier s'appelait Monsieur Schulz, le second Jackli, le troisième Marli, le quatrième Jergli, le cinquième Michel, le sixième Jeannot et le septième Veitli. Ils s'étaient fixé pour but de voyager à travers le monde pour y chercher aventure et y accomplir de hauts faits. Comme ils voulaient être armés afin d'être en sécurité, ils avaient jugé bon de se fabriquer une pique, une seule, mais vraiment longue et solide. Ils la tenaient tous les sept à la fois. Le plus hardi, le plus viril se tenait devant : c'était Monsieur Schulz. Puis venaient les autres, dans l'ordre, le dernier étant Veitli.
Il arriva un jour qu'au mois des foins, comme ils avaient fait un long chemin et qu'il leur restait encore un peu de route à parcourir jusqu'au village où ils comptaient passer la nuit, un scarabée, un frelon peut-être, passa non loin d'eux, derrière un buisson, dans le pré, vrombissant pacifiquement. Monsieur Schulz s'effraya tant qu'il en laissa presque tomber la pique et que la sueur lui coula par tous les pores.
- Écoutez, écoutez ! dit-il à ses compagnons. Seigneur, j'entends un tambour.
Jackli, qui tenait la pique derrière lui et dont je ne sais quelle odeur avait chatouillé les narines, dit:
- Il se passe indiscutablement quelque chose : je sens la poudre et la mèche à canon.
À ces mots, Monsieur Schulz prit la fuite et d'un bond franchit une clôture.
Comme il était retombé sur les dents d'un râteau que des faneurs avaient laissé là, le manche lui revint dans la figure, lui assénant un violent coup.
- Ouïe, ouïe, ouïe, s'écria Monsieur Schulz, faites-moi prisonnier, faites-moi prisonnier ! Je me rends !
Les six autres, qui l'avaient suivi, s'écrièrent à leur tour :
- Si tu te rends, je me rends aussi ! Finalement, comme il n'y avait aucun ennemi qui voulût les ligoter et les emmener, ils se rendirent compte qu'ils s'étaient trompés. Et pour que personne n'apprît cette histoire et ne se moquât d'eux, ils jurèrent de n'en point parler aussi longtemps que l'un d'eux n'ouvrirait par hasard la bouche à ce sujet.
Sur quoi, ils continuèrent leur voyage. Le deuxième péril qui les menaça était encore bien plus grand que le premier. Quelques jours plus tard, leur chemin les conduisit à travers des terres en friche. Un lièvre y dormait au soleil, oreilles pointées et ses yeux vitreux grands ouverts. À la vue de cette bête effrayante et sauvage, ils prirent peur et tinrent conseil pour savoir ce qu'ils allaient faire et quelle était la conduite la moins dangereuse à suivre. Car s'ils se mettaient à fuir, il était à craindre que le monstre les suivît et les avalât avec la peau et les os. Ils dirent donc :
- Nous allons devoir affronter un dangereux combat. Bien le concevoir, c'est déjà l'avoir gagné à moitié.
Ils saisirent leur pique, Monsieur Schulz était devant, Veitli derrière. Monsieur Schulz tenait l'engin. Mais Veitli, qui, dans sa position protégée, se sentait plein de courage, brûlait d'attaquer et criait :
- Au nom de la Souabe, en avant, les enfants !
Sinon que le diable nous laisse en plan !
Mais Jeannot savait où le bât le blessait. Il dit :
- Par tous les diables, tu parles bien !
Mais quand on voit l'ombre du dragon
de ta personne on ne voit que les talons !
Michel cria :
- Il s'en faut d'un cheveu
Que du diable lui-même je voie les yeux !
Ce fut au tour de Jergli. Il dit :
- Si ce n'est lui, c'est donc sa mère
Ou pour le moins, du diable le beau-frère !
Il vint à Marli une charitable pensée. Il dit à Veitli :
- Va, va, Veitli, va de l'avant !
De là derrière, je t'aiderai à serrer les dents !
Mais Veitli ne l'écoutait pas. Jackli dit :
- C'est à Schulz d'être le premier !
À lui seul l'honneur d'attaquer !
Monsieur Schulz prit son courage à deux mains et dit :
- À voir votre énervement
On voit bien que vous êtes vaillants.
Et tous ensemble, ils avancèrent contre le dragon. Monsieur Schulz se signa et appela Dieu à son secours. Mais comme rien ne se passait et que l'ennemi approchait, il cria, tant grande était sa peur :
- Ouah ! Ouah ! Ouahaha !
Le lièvre se réveilla, s'effraya et s'en fut à toute vitesse. Quand Monsieur Schulz le vit si couard, il s'écria plein de joie :
- Peuh ! Veitli, regarde-moi ça
Ce n'était qu'un lièvre, va !
Les sept Souabes alliés partirent à la poursuite d'autres aventures. Ils arrivèrent sur les bords de la Moselle, un fleuve tranquille et profond que traversent peu de ponts et qu'il faut, en maints endroits, franchir en bateau. Nos Souabes n'en savaient rien. Ils appelèrent un homme qui, de l'autre côté, vaquait à ses occupations et lui demandèrent comment on pouvait passer. À cause de l'éloignement et de l'accent de ses interlocuteurs, l'homme ne comprit pas ce qu'ils voulaient et cria :
- Eh ? Eh ?
Monsieur Schultz comprit qu'il disait « À pied ! À pied ! » et, comme il était le premier, il se mit en demeure de pénétrer dans la Moselle. Bientôt, il s'enlisa dans la vase et l'eau, en vagues profondes, monta autour de lui. Le vent chassa son chapeau de l'autre côté du fleuve. Une grenouille le regarda et coassa :
- Ouais, ouais !
Les six autres, entendant cela, dirent :
- Notre compagnon, Monsieur Schulz, nous appelle. S'il a pu traverser, pourquoi pas nous ?
Ils sautèrent tous ensemble dans l'eau et se noyèrent. Si bien qu'aucun des membres de l'alliance souabe ne rentra jamais à la maison.
 

 
 

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Les six cygnes
 
  

Un jour, un roi chassait dans une grande forêt. Et il y mettait tant de coeur que personne, parmi ses gens, n'arrivait à le suivre. Quand le soir arriva, il s'arrêta et regarda autour de lui. Il s'aperçut qu'il avait perdu son chemin. Il chercha à sortir du bois, mais ne put y parvenir. Il vit alors une vieille femme au chef branlant qui s'approchait de lui. C'était une sorcière.
- Chère dame , lui dit-il , ne pourriez-vous pas m'indiquer le chemin qui sort du bois ?
- Oh ! si, monsieur le roi, répondit-elle. je le puis. Mais à une condition. Si vous ne la remplissez pas, vous ne sortirez jamais de la forêt et vous y mourrez de faim.
- Quelle est cette condition ? demanda le roi.
- J'ai une fille, dit la vieille, qui est si belle qu'elle n'a pas sa pareille au monde. Elle mérite de devenir votre femme. Si vous en faites une reine, je vous montrerai le chemin.
Le roi avait si peur qu'il accepta et la vieille le conduisit vers sa petite maison où sa fille était assise au coin du feu. Elle accueillit le roi comme si elle l'avait attendu et il vit qu'elle était vraiment très belle. Malgré tout, elle ne lui plut pas et ce n'est pas sans une épouvante secrète qu'il la regardait. Après avoir fait monter la jeune fille auprès de lui sur son cheval, la vieille lui indiqua le chemin et le roi parvint à son palais où les noces furent célébrées.
Le roi avait déjà été marié et il avait eu de sa première femme sept enfants, six garçons et une fille, qu'il aimait plus que tout au monde. Comme il craignait que leur belle-mère ne les traitât pas bien, il les conduisit dans un château isolé situé au milieu d'une forêt. Il était si bien caché et le chemin qui y conduisait était si difficile à découvrir qu'il ne l'aurait pas trouvé lui-même si une fée ne lui avait offert une pelote de fil aux propriétés merveilleuses. Lorsqu'il la lançait devant lui, elle se déroulait d'elle-même et lui montrait le chemin. Le roi allait cependant si souvent auprès de ses chers enfants que la reine finit par remarquer ses absences. Curieuse, elle voulut savoir ce qu'il allait faire tout seul dans la forêt. Elle donna beaucoup d'argent à ses serviteurs. Ils lui révélèrent le secret et lui parlèrent de la pelote qui savait d'elle-même indiquer le chemin. Elle n'eut de cesse jusqu'à ce qu'elle eût découvert où le roi serrait la pelote. Elle confectionna alors des petites che
mises de soie blanche et, comme sa mère lui avait appris l'art de la sorcellerie, elle y jeta un sort. Un jour que le roi était parti à la chasse, elle s'en fut dans la forêt avec les petites chemises. La pelote lui montrait le chemin. Les enfants, voyant quelqu'un arriver de loin, crurent que c'était leur cher père qui venait vers eux et ils coururent pleins de joie à sa rencontre. Elle jeta sur chacun d'eux l'une des petites chemises et, aussitôt que celles-ci eurent touché leur corps, ils se transformèrent en cygnes et s'envolèrent par-dessus la forêt. La reine, très contente, repartit vers son château, persuadée qu'elle était débarrassée des enfants. Mais la fille n'était pas partie avec ses frères et ne savait pas ce qu'ils étaient devenus.
Le lendemain, le roi vint rendre visite à ses enfants. Il ne trouva que sa fille.
- Où sont tes frères ? demanda-t-il.
- Ah ! cher père, répondit-elle, ils sont partis et m'ont laissée toute seule.
Elle lui raconta qu'elle avait vu de sa fenêtre comment ses frères transformés en cygnes étaient partis en volant au-dessus de la forêt et lui montra les plumes qu'ils avaient laissé tomber dans la cour. Le roi s'affigea, mais il ne pensa pas que c'était la reine qui avait commis cette mauvaise action. Et comme il craignait que sa fille ne lui fût également ravie, il voulut l'emmener avec lui. Mais elle avait peur de sa belle-mère et pria le roi de la laisser une nuit encore dans le château de la forêt.
La pauvre jeune fille pensait : « je ne resterai pas longtemps ici, je vais aller à la recherche de mes frères. » Et lorsque la nuit vint, elle s'enfuit et s'enfonça tout droit dans la forêt. Elle marcha toute la nuit et encore le jour suivant jusqu'à ce que la fatigue l'empêchât d'avancer. Elle vit alors une hutte dans laquelle elle entra ; elle y trouva six petits lits. Mais elle n'osa pas s'y coucher. Elle se faufila sous l'un deux, s'allongea sur le sol dur et se prépara au sommeil. Mais, comme le soleil allait se coucher, elle entendit un bruissement et vit six cygnes entrer par la fenêtre. Ils se posèrent sur le sol, soufflèrent l'un sur l'autre et toutes leurs plumes s'envolèrent. Leur peau apparut sous la forme d'une petite chemise. La jeune fille les regarda bien et reconnut ses frères. Elle se réjouit et sortit de dessous le lit. Ses frères ne furent pas moins heureux qu'elle lorsqu'ils la virent. Mais leur joie fut de courte durée.
- Tu ne peux pas rester ici, lui dirent-ils, nous sommes dans une maison de voleurs. S'ils te trouvent ici quand ils arriveront, ils te tueront.
- Vous ne pouvez donc pas me protéger ? demanda la petite fille.
- Non ! répondirent-ils, car nous ne pouvons quitter notre peau de cygne que durant un quart d'heure chaque soir et, pendant ce temps, nous reprenons notre apparence humaine. Mais ensuite, nous redevenons des cygnes.
La petite fille pleura et dit :
- Ne pouvez-vous donc pas être sauvés ?
- Ah, non, répondirent-ils, les conditions en sont trop difficiles. Il faudrait que pendant six ans tu ne parles ni ne ries et que pendant ce temps tu nous confectionnes six petites chemises faites de fleurs. Si un seul mot sortait de ta bouche, toute ta peine aurait été inutile.
Et comme ses frères disaient cela, le quart d'heure s'était écoulé et, redevenus cygnes, ils s'en allèrent par la fenêtre.
La jeune fille résolut cependant de sauver ses frères, même si cela devait lui coûter la vie. Elle quitta la hutte, gagna le centre de la forêt, grimpa sur un arbre et y passa la nuit. Le lendemain, elle rassembla des fleurs et commença à coudre. Elle n'avait personne à qui parler et n'avait aucune envie de rire. Elle restait assise où elle était et ne regardait que son travail. Il en était ainsi depuis longtemps déjà, lorsqu'il advint que le roi du pays chassa dans la forêt et que ses gens s'approchèrent de l'arbre sur lequel elle se tenait . Ils l'appelèrent et lui dirent :
- Qui es-tu ?
Elle ne répondit pas.
- Viens, lui dirent-ils, nous ne te ferons aucun mal.
Elle secoua seulement la tête. Comme ils continuaient à la presser de questions, elle leur lança son collier d'or, espérant les satisfaire. Mais ils n'en démordaient pas. Elle leur lança alors sa ceinture ; mais cela ne leur suffisait pas non plus. Puis sa jarretière et, petit à petit, tout ce qu selle avait sur elle et dont elle pouvait se passer, si bien qu'il ne lui resta que sa petite chemise. Mais les chasseurs ne s'en contentèrent pas. Ils grimpèrent sur l'arbre, se saisirent d'elle et la conduisirent au roi. Le roi demanda :
- Qui es-tu ? Que fais-tu sur cet arbre ?
Elle ne répondit pas. Il lui posa des questions dans toutes les langues qu'il connaissait, mais elle resta muette comme une carpe. Comme elle était très belle, le roi en fut ému et il s'éprit d'un grand amour pour elle. Il l'enveloppa de son manteau, la mit devant lui sur son cheval et l'emmena dans son château. Il lui fit donner de riches vêtements et elle resplendissait de beauté comme un soleil. Mais il était impossible de lui arracher une parole. A table, il la plaça à ses côtés et sa modestie comme sa réserve lui plurent si fort qu'il dit :
- Je veux l'épouser, elle et personne d'autre au monde.
Au bout de quelques jours, il se maria avec elle. Mais le roi avait une mère méchante, à laquelle ce mariage ne plaisait pas. Elle disait du mal de la jeune reine. « Qui sait d'où vient cette folle, disait-elle. Elle ne sait pas parler et ne vaut rien pour un roi. » Au bout d'un an, quand la reine eut un premier enfant, la vieille le lui enleva et, pendant qu'elle dormait, elle lui barbouilla les lèvres de sang. Puis elle se rendit auprès du roi et accusa sa femme d'être une mangeuse d'hommes. Le roi ne voulut pas la croire et n'accepta pas qu'on lui lit du mal. Elle, cependant, restait là, cousant ses chemises et ne prêtant attention à rien d'autre. Lorsqu'elle eut son second enfant, un beau garçon, la méchante belle-mère recommença, mais le roi n'arrivait pas à la croire. Il dit : « Elle est trop pieuse et trop bonne pour faire pareille chose. Si elle n'était pas muette et pouvait se défendre, son innocence éclaterait. » Mais lorsque la vieille lui enleva une troisième fois son enfant nouveau-né et accu
sa la reine qui ne disait pas un mot pour sa défense, le roi ne put rien faire d'autre que de la traduire en justice et elle fut condamnée à être brûlée vive.
Quand vint le jour où le verdict devait être exécuté, c'était également le dernier des six années au cours desquelles elle n'avait le droit ni de parler ni de rire et où elle pourrait libérer ses frères chéris du mauvais sort. Les six chemises étaient achevées. Il ne manquait que la manche gauche de la sixième. Quand on la conduisit à la mort, elle plaça les six chemises sur son bras et quand elle fut en haut du bûcher, au moment où le feu allait être allumé, elle regarda autour d'elle et vit que les six cygnes arrivaient en volant. Elle comprit que leur délivrance approchait et son coeur se remplit de joie. Les cygnes s'approchèrent et se posèrent auprès d'elle de sorte qu'elle put leur lancer les chemises. Dès qu'elles les atteignirent, les plumes de cygnes tombèrent et ses frères se tinrent devant elle en chair et en os, frais et beaux. Il ne manquait au plus jeune que le bras gauche. À la place, il avait une aile de cygne dans le dos. Ils s'embrassèrent et la reine s'approcha du roi complètement bouleversé, commença à parler et dit :
- Mon cher époux, maintenant j'ai le droit de parler et de te dire que je suis innocente et que l'on m'a faussement accusée.
Et elle lui dit la tromperie de la vieille qui lui avait enlevé ses trois enfants et les avait cachés. Pour la plus grande joie du roi, ils lui furent ramenés et, en punition, la méchante belle-mère fut attachée au bûcher et réduite en cendres. Pendant de nombreuses années, le roi, la reine et ses six frères vécurent dans le bonheur et la paix.
 

 
 

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Les souliers de bal usés
 
  

Le roi avait douze filles, plus belles les unes que les autres. Elles dormaient ensemble dans une vaste pièce, leurs lits étaient alignés côte à côte, et chaque soir, dès qu'elles étaient couchées, le roi refermait la porte et poussait le verrou. Or, le roi constatait tous les matins, après avoir ouvert la porte, que les princesses avaient des souliers usés par la danse. Personne n'était capable d'élucider le mystère. Le roi proclama alors que celui qui trouverait où dansaient les princesses toutes les nuits, pourrait choisir une de ses filles pour épouse et deviendrait roi après sa mort. Mais le prétendant qui, au bout de trois jours et trois nuits, n'aurait rien découvert, aurait la tête coupée.
Bientôt, un prince, voulant tenter sa chance, se présenta. il fut très bien accueilli, et le soir on l'accompagna dans la chambre contiguë à la chambre à coucher des filles royales. On lui prépara son lit et le prince n'avait plus qu'à surveiller les filles pour découvrir où elles allaient danser ; et pour qu'elles ne puissent rien faire en cachette, la porte de la chambre à coucher resta ouverte.
Mais les paupières du prince s'alourdirent tout à coup et il s'endormit. Lorsqu'il se réveilla le matin, il ne put que constater que les princesses avaient été au bal et avaient dansé toutes les douze : leurs souliers rangés sous leurs lits étaient complètement usés. Les deuxième et troisième soirs il n'en fut pas autrement et le lendemain, le prince eut la tête coupée.
Par la suite, de nombreux garçons encore avaient visité le palais, mais tous payèrent leur courage de leur vie. Puis, un jour, un soldat pauvre et blessé qui ne pouvait plus servir dans l'armée, marcha vers la ville où siégeait le roi. Sur son chemin, il rencontra une vieille femme qui lui demanda où il allait.
- Je ne sais pas bien moi-même, répondit le soldat, et il ajouta en plaisantant :J'aurais bien envie de découvrir où toutes ces princesses dansent toutes les nuits !
- Ce n'est pas si difficile, dit la vieille femme, il faudrait que tu ne boives pas le vin qu'ils vont te servir et que tu fasses semblant de dormir d'un sommeil de plomb.
Puis, elle lui tendit une cape en disant :
- Si tu mets cette cape, tu deviendras invisible et tu pourras ainsi épier les douze danseuses.
Fort de ces bons conseils, le soldat se mit sérieusement à envisager d'aller au palais. Il prit son courage à deux mains, se présenta devant le roi et se déclara prêt à relever le défi. Il fut accueilli avec autant de soins que ses prédécesseurs et fut même revêtu d'un habit princier. Le soir venu, tout le monde se prépara à aller se coucher et le soldat fut amené dans l'antichambre des filles royales. Avant qu'il ne se couche, la princesse aînée entra, lui apportant une coupe de vin. Or, le soldat avait auparavant attaché sous son menton un petit tuyau ; il laissa le vin couler à l'intérieur et n'en avala donc pas une goutte. Il se coucha, puis il attendit un peu avant de se mettre à ronfler comme s'il dormait profondément.
Dès que les princesses l'entendirent, elles se mirent à rire et l'ainée dit :
- Quel dommage de risquer sa vie ainsi !
Elles se levèrent, ouvrirent les armoires, en sortirent des robes superbes et commencèrent à se faire belles devant la glace ; elles sautillaient, se réjouissant par avance de la soirée qui les attendait. Mais la plus jeune s'inquiéta :
- Vous vous réjouissez, mais moi j'ai comme un pressentiment. Un malheur nous attend.
- Ne sois pas bête, dit l'aînée, balayant ses soucis, tu es toujours inquiète. As-tu déjà oublié combien de princes nous ont déjà surveillées en vain ? Et le soldat à côté n'a même pas eu besoin de la potion pour s'endormir. Ce pauvre bougre ne se réveillera pas quoiqu'il arrive.
Néanmoins, lorsque les douze princesses eurent fini de s'habiller, elles allèrent jeter un coup d'oeil sur le soldat. Il avait les yeux fermés, respirait régulièrement et ne bougeait pas ; elles en conclurent qu'il n'y avait n'en à craindre. L'aînée s'approcha de son lit et frappa. Le lit s'effaça aussitôt pour laisser place à un escalier qui s'enfonçait sous la terre et les soeurs descendirent par ce passage. L'ainée ouvrait la marche, les autres la suivaient, l'une après l'autre. Le soldat avait tout vu et n'hésita pas longtemps : il jeta la cape sur ses épaules et se mit à descendre derrière la benjamine. Au milieu de l'escalier, il marcha un peu sur sa jupe ; la princesse eut peur et s'écria :
- Qu'est-ce que c'est ? Qui est-ce qui tient ma robe ?
- Que tu es bête ! la fit taire l'aînée, tu as dû juste t'accrocher à un clou.
Elles descendirent tout en bas pour se retrouver dans une allée merveilleuse. Les feuilles des arbres y étaient en argent, elles brillaient et scintillaient.
- Il faut que je garde une preuve, décida le soldat.
Il cassa une petite branche, mais l'arbre craqua très fort.
- Il se passe quelque chose s'écria, anxieuse, la plus jeune princesse. Avez-vous entendu ce bruit ?
Mais l'aînée la calma :
- Ce sont des coups de canon. Nos princes se réjouissent que nous allions bientôt les délivrer.
Elles avancèrent dans une autre allée où les feuilles étaient en or, et finalement elles entrèrent dans une allée où sur les arbres de vrais diamants étincelaient. Le soldat arracha une petite branche dans l'allée d'or et dans celle aux diamants et à chaque fois un craquement retentit. La plus jeune des princesses avait peur et sursautait à chaque fois ; mais l'aînée persistait à dire qu'il s'agissait bien des coups de canon en leur honneur.
Elles continuèrent leur chemin lorsqu'elles arrivèrent à un lac ; près de la rive voguaient douze barques et dans chacune d'elles se tenait un très beau prince. Les douze princes attendaient leurs douze princesses. Chacun en prit une dans sa barque. Le soldat s'assit près de la plus jeune.
- Je ne comprends pas, s'étonna le prince, la barque me semble aujourd'hui plus lourde que d'habitude. je dois ramer de toutes mes forces pour avancer.
- Ça doit être la chaleur ou l'orage, estima la petite princesse, je me sens moi aussi toute moite.
Sur l'autre rive brillait un palais magnifique, tout illuminé, et une musique très gaie s'en échappait. Le roulement des tambours et le son des trompettes résonnaient à la surface de l'eau. Les princes et les princesses accostèrent et entrèrent dans le palais, puis chaque prince invita la princesse de son choix à danser. Le soldat, toujours invisible, dansa avec eux, et chaque fois qu'une princesse prenait une coupe dans la main, il buvait le vin qu'elle contenait avant que la princesse ne pût approcher la coupe de ses lèvres. La plus jeune princesse en était toute retournée mais l'aînée était toujours là pour la rassurer.
Ils dansèrent toute la nuit, jusqu'à trois heures du matin ; à ce moment les semelles des souliers des princesses étaient déjà usées et elles durent s'arrêter. Les princes les ramenèrent sur l'autre rive, le soldat s'étant cette fois-ci assis à côté de l'ainée. Les princesses firent leurs adieux aux princes et promirent de revenir. Le soldat les devança en montant les marches, sauta dans son lit et lorsque les douze princesses fatiguées arrivèrent en haut à petits pas, dans la chambre un ronflement très fort résonnait déjà.
Les princesses l'ayant entendu, se dirent :
- Avec celui-là, il n'y a rien à craindre.
Et elles se déshabillèrent, rangèrent leurs belles robes dans les armoires, leurs souliers usés sous les lits et elles se couchèrent.
Le lendemain matin, le soldat décida de ne rien dire. Il avait envie d'aller au moins une fois encore avec elles pour être témoin de leurs étonnantes réjouissances. Il suivit donc les princesses la deuxième et la troisième nuit et tout se passa exactement comme la première fois ; les princesses dansèrent jusqu'à ce que leurs souliers soient usés jusqu'à la corde. La troisième nuit, le soldat emporta une coupe comme preuve.
Vint l'instant où le soldat dut donner la réponse au roi. Il mit dans sa poche les trois petites branches ainsi que la coupe, et il se présenta devant le trône. Les douze princesses se tenaient derrière la porte pour écouter ce qu'il allait dire.
Le roi demanda d'emblée :
- Où mes douze filles dansent-elles pour user tant leurs souliers ?
- Dans un palais qui est sous terre, répondit le soldat. Elles y dansent avec douze princes.
Et il se mit à raconter comment tout cela se passait ; et il montra les preuves. Le roi appela ses filles et leur demanda si le soldat avait dit la vérité. Les princesses, voyant que leur secret était découvert et qu'il ne servait à rien de nier, durent, bon gré mal gré, reconnaître les faits.
Lorsqu'elles avouèrent, le roi demanda au soldat laquelle des douze princesses il souhaitait épouser.
- Je ne suis plus un jeune homme, dit le soldat, donnez-moi votre fille aînée.
Les noces eurent lieu le jour même et le roi promit au soldat qu'après sa mort il deviendrait roi. Et les princes sous la terre furent à nouveau ensorcelés jusqu'à ce que se soient écoulées autant de nuits qu'ils en avaient passé à danser avec les princesses.
 

 
 

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