L'homme à la peau d'ours blanc
 
  

Il y avait une fois un jeune gaillard qui s'était engagé dans l'armée et qui s'y comporta vaillamment ; il était toujours le premier à l'assaut quand les autres hésitaient sous les balles. Tant que dura la guerre, tout alla bien pour lui ; mais une fois la paix conclue, il reçut son congé et s'entendit signifier par son capitaine d'aller où bon lui semblerait. Ses parents étaient morts ; il était sans foyer. Alors il se rendit auprès de ses frères, auxquels il demanda de l'héberger jusqu'à la prochaine guerre.
- Que veux-tu que nous fassions de toi ici ? lui répondirent les frères, qui avaient le coeur sec et dur. Tu ne peux nous être utile en rien, et tu n'as qu'à veiller toi-même à te tirer d'affaire. Nous ne pouvons pas t'aider.
N'ayant à lui rien d'autre que son fusil, le soldat se le mit à l'épaule et s'en alla par le vaste monde. Arrivé dans une grande plaine où il n'y avait qu'un seul bouquet d'arbres, il s'y achemina et s'y laissa tomber tristement à l'ombre, songeant à son misérable destin. « Sans argent, sans métier, que puis-je devenir ? se disait-il. Je ne sais que combattre, et maintenant que la paix est conclue, ils n'ont plus besoin de moi. Hélas je vois qu'il faut crever de faim ! »
Entendant tout à coup un bruissement derrière lui, il se retourna et vit un inconnu planté là, tout habillé de vert, l'air cossu, mais avec un pied de cheval du plus affreux effet.
- Je sais déjà ce qu'il te manque, déclara l'homme. L'argent et le confort : tu en auras autant que tu voudras et pourras en vouloir ; mais il me faut, avant, savoir si tu n'es pas poltron, car je ne tiens pas à gâcher mon or.
- Peureux et soldat, cela ne va pas ensemble, répondit-il. Tu n'as qu'à me mettre à l'épreuve.
- Parfait, dit l'homme : retourne-toi !
Le soldat regarda et vit un ours de grosse taille qui arrivait sur lui en grognant furieusement.
- Holà ! s'exclama le soldat, je vais te passer ton envie de grogner en te chatouillant un peu le nez à ma manière !
Epaulant et tirant, il toucha l'ours en plein museau et l'abattit au sol, où il resta sans bouger.
- Il est clair que tu ne manques pas de courage, dit l'homme inconnu ; mais il y a encore une condition à remplir.
- Tant qu'elle ne nuira pas à mon salut éternel, dit le soldat, qui avait bien compris à qui il avait affaire, je n'ai rien contre.
- Tu en jugeras par toi-même, rétorqua l'homme vert. Au long des sept années qui viennent, tu dois ne pas te laver, ne pas te peigner les chevaux ou la barbe, ne pas te couper les ongles et ne dire aucune patenôtre ; et puis le costume et le manteau que je vais te donner, tu devras les porter tout le temps. Si tu meurs dans le cours de ces sept années, tu es à moi ; si tu restes en vie, par contre, tu seras libre et riche jusqu'à la fin de tes jours.
Le soldat repensa à sa grande misère actuelle, et comme il ne craignait pas la mort, lui qui s'y était exposé si souvent, il décida de prendre le risque cette fois encore et accepta la proposition. Le Diable enleva son habit vert pour le lui donner.
- Tant que tu porteras cet habit, lui dit-il, tu auras de l'or en poche, même si tu le dépenses à pleines mains.
Ensuite, il prit la peau de l'ours, qu'il dépouilla en un tournemain, et il la lui remit.
- Ce sera ton manteau et ton lit, lui dit-il. Tu ne dois pas dormir autrement, ni te couvrir avec autre chose. Mais ce costume te vaudra d'être appelé partout Peau-d'Ours.
Ces mots dits, le Diable avait disparu.
Le soldat revêtit l'habit vert et mit aussitôt la main à la poche : c'était exact, l'or y était. Il se jeta ensuite la peau d'ours sur le dos et partit dans le vaste monde, où il ne se priva pas de rien de ce qui pouvait lui faire plaisir, et que lui procurait l'argent. Et je vous prie de croire qu'il s'en donna à coeur joie : tant que cela lui faisait du bien à lui et du mal à sa bourse, il pouvait y aller!
Pendant la première année, ce fut encore supportable, mais déjà la seconde année, il avait l'air d'un monstre : ses cheveux lui retombaient jusque sur la figure, la cachaient à moitié ; sa barbe ressemblait à du feutre rugueux ; ses ongles étaient comme des griffes de rapace ; quant à la peau de sa figure, elle portait une telle couche de crasse, que si l'on y avait semé de l'herbe elle y aurait poussé ! Les gens fuyaient à sa vue ; mais comme il donnait partout de l'argent aux pauvres, en leur demandant de prier pour lui, et comme aussi il payait tout fort largement, il arrivait encore à se faire héberger partout. Au bout de quatre ans, par contre, il vint un jour dans une auberge où l’hôtelier lui refusa l'entrée et ne voulut même pas le laisser coucher dans l'écurie, de peur d'en rendre ses chevaux ombrageux. Mais après que Peau-d'Ours eut mis la main à la poche pour la sortir pleine de ducats, l'aubergiste se laissa convaincre et lui donna une chambre sur l'arrière-cour, à la condition expresse, toute
fois, qu'il ne se montrerait à personne, afin de ne pas ruiner la réputation de la maison.
Seul dans sa chambre, le soir, Peau-d'Ours était en train de souhaiter de tout son coeur que finissent les sept années, quand il entendit qu'on gémissait et pleurait tout haut dans une chambre voisine. N'écoutant que son bon coeur, il alla en ouvrir la porte et vit un vieillard qui se tordait les mains de désespoir et qui pleurait à grands sanglots. Peau-d'Ours voulut s'avancer vers lui, mais dès qu'il l'aperçut, le vieil homme fut pris d'épouvante et voulut fuir ; en entendant pourtant une voix humaine, il s'apaisa un petit peu ; Peau-d’Ours, à force de paroles amicales, réussit à obtenir qu'il lui découvrît la cause de son grand chagrin. Ses moyens avaient fondu petit à petit ; lui-même et ses filles en étaient réduits à mourir de faim désormais, car il était si pauvre qu'il n'avait même plus de quoi payer son auberge, et il devrait aller en prison !
- Si ce sont là vos seuls soucis, répondit Peau-d'Ours, vous pouvez vous tranquilliser : de l'argent, j'en ai plus qu'il n'en faut.
Il fit venir l'aubergiste pour lui régler sa note, et il glissa encore une bourse pleine d'or dans la poche du malheureux. Débarrassé de ses soucis, le vieil homme ne savait plus comment remercier son bienfaiteur.
- Venez avec moi, lui dit-il. Mes filles sont des merveilles de beauté, et vous en prendrez une comme épouse : quand elle saura ce que vous avez fait pour moi, elle ne voudra pas refuser. Il est vrai que vous avez bien l'air un peu étrange, mais elle aura tôt fait de vous arranger convenablement !
Peau-d'Ours, enchanté de cette offre, suivit le vieillard jusque chez lui. Mais la fille aînée, en le voyant, fut frappée d'une telle terreur qu'elle poussa un cri et se sauva. La deuxième, elle, était restée et elle l'examina de la tête aux pieds avant de dire :
- Comment prendrais-je pour mari un être qui n'a pas figure humaine ? J'aime encore mieux l'ours rasé qu'on nous a montré un jour, déguisé en homme : il portait au moins une veste de hussard et des gants blancs ! Quand il n'y a que la laideur, on peut encore, à la rigueur, arriver à s'y habituer...
- Mon cher père, dit alors la cadette, il faut qu'il soit brave homme pour vous avoir secouru comme il l'a fait dans votre grande détresse ; et puisque vous lui avez promis une fiancée en retour, votre parole doit être honorée.
Dommage que la crasse et le poil eussent couvert entièrement la figure de Peau-d'Ours, car sans cela, on eût vu s'illuminer ses traits de la grande joie que ces paroles lui avaient mise au coeur, et tout l'amour dont il débordait ! Il tira la bague qu'il avait à son doigt et la brisa en deux, pour en donner la moitié à sa fiancée et garder l'autre pour lui. Celle qu'il garda portait gravé le nom de sa fiancée, et celle de sa fiancée était gravée de son nom à lui. Quand il eut écrit les deux noms et tendu à sa fiancée la demi-bague, qu'il lui recommanda de bien garder, il prit congé et s'en alla en lui disant :
- Tu dois m'attendre encore trois ans, pendant lesquels je dois poursuivre mon errance à travers le monde. Si je reviens, alors nous célébrerons notre mariage ; si je ne reviens pas, c'est que je serai mort, et donc tu seras libre. Mais prie Dieu qu’il me garde la vie !
La pauvre fiancée s'habilla de noir et les larmes lui venaient aux yeux quand elle pensait à son fiancé, alors que ses deux soeurs lui décochaient les moqueries les plus cruelles. « Fais attention ! lui disait l'aînée, quand tu lui donneras ta main, il va te la broyer dans sa patte d'ours ! » Et la seconde soeur renchérissait : « Prends garde ! les ours aiment les douceurs : si tu lui plais, il va te dévorer ! » L'aînée reprenait : « Si tu ne veux pas qu'il se mette à grogner, ton animal, il te faudra lui faire ses quatre volontés et bien lui obéir en toutes choses ! » Puis l'autre soeur ajoutait : « N'empêche que la noce sera joyeuse : les ours savent très bien danser ! »
La fiancée les écoutait dire sans leur répondre, ne se laissant pas du tout entamer. Peau-d'Ours, pendant ce temps, poursuivait ses pérégrinations et s'en allait de place en place, sans oublier de faire le bien aussi souvent qu’il en trouvait l'occasion, donnant généreusement aux pauvres et attendant beaucoup de leurs prières. Puis à la fin des fins, lorsque fut arrivé le dernier jour des sept années, il était revenu dans la grande plaine et s'était assis sous le bouquet d'arbres. Bientôt il entendit comme un soupir du vent, et le Diable se tint devant lui, l'observant d'un air déçu ; puis il lui lança ses vieilles hardes et réclama son habit vert.
- Pas si vite ! dit le soldat. Avant que nous arrivions là, il faut encore que tu me fasses ma toilette et que je redevienne propre !
Bon gré, mal gré, le Diable dut s'exécuter, apporter de l'eau, laver et nettoyer l'ours encrotté, lisser sa barbe, peigner ses cheveux, tailler ses ongles, bref lui rendre son air de vaillant guerrier revenant de la guerre ; et à la vérité, le soldat se retrouva beaucoup mieux qu'il ne l'était sept ans plus tôt.
Lorsque tout fut heureusement terminé, et le Diable parti, celui qui avait été l'horrible Peau-d'Ours se sentit le coeur léger et tout joyeux. Il se rendit à la ville, s'acheta un magnifique habit de velours, prit place dans un carrosse attelé de quatre chevaux blancs et se fit conduire à la demeure de sa fiancée. Personne ne l'y reconnut, et le vieux père le prit pour un officier libéré de l'armée ; il l'introduisit dans la pièce où se tenaient ses filles. Les deux aînées s'empressèrent autour de lui, le firent asseoir entre elles, lui servirent du vin et tout ce qu'il y avait de meilleur à offrir, car elles se disaient l'une et l'autre, en secret, qu'elles n'avaient jamais vu de plus bel homme. Sa fiancée, pendant ce temps, se trouvait assise en face, les yeux baissés dans son vêtement de deuil, sans prononcer une parole. Lorsque le visiteur finit par demander au vieux père s'il consentait à lui donner sa fille en mariage, les deux aînées ne firent qu'un saut jusqu'à leur chambre pour s'y parer et reven
ir dans leurs plus beaux atours: aucune des deux ne doutait, en effet, d'être la préférée. Mais l'inconnu, dès qu'il fut seul avec sa fiancée, prit la demi-bague qu'il gardait dans sa poche et la fit tomber dans une coupe de vin, qu'il poussa vers elle de l'autre côté de la table. Elle n'avait pas vu son geste, mais lorsqu'elle eut vidé la coupe et trouvé l'anneau brisé dans le fond, elle tressaillit en rougissant. A son tour, elle prit le fragment qu'elle avait en sautoir à son cou, l'appliqua contre l'autre et constata qu'ils s'adaptaient parfaitement.
- Oui, c'est moi, lui dit-il, le fiancé que tu as connu dans sa peau d'ours et qui a, grâce à Dieu, retrouvé son air humain et sa netteté sans souillure !
Tout en parlant, il s'était levé pour aller à elle, la prendre dans ses bras et lui donner le premier baiser de son grand amour.
Les deux soeurs, en grande toilette, firent leur entrée à ce moment ; et quand elles virent que le beau cavalier avait choisi leur cadette, elles n'en crurent pas leurs yeux ; mais lorsqu'elles apprirent que ce bel homme n'était autre que Peau-d'Ours, le tant méprisé, elles furent prises d'une rage folle et s'enfuirent en courant vers la mort : l'une se noya en se jetant dans le puits ; l'autre se pendit à la branche d'un arbre.
Le même soir, on frappa à la porte, et le fiancé alla ouvrir : c'était le Diable Vert, serré dans son habit, qui déclara :
- Eh bien, tu vois ! A la place de la tienne, ce sont deux âmes que j'ai eues !
 

 
 

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La princesse de pierre
 
  

Deux princes partirent un jour à l'aventure vers de lointaines contrées. Mais comme ils s'amusaient beaucoup à faire les quatre cents coups, ils décidèrent de ne plus revenir au château.
Leur petit frère, qui se faisait du souci, décida de partir à leur recherche. Lorsqu'il les trouva enfin, ils se moquèrent de lui: "Oh! Une chance que tu sois venu, petit frère. Car nous n'aurions jamais pu nous débrouiller seuls; tu es tellement plus intelligent que nous." Mais ils acceptèrent quand même de l'emmener avec eux.

Ils reprirent donc la route tous ensembles et un jour, au détour d'un sentier, ils aperçurent une fourmilière. Le plus vieux voulu la fouiller et voir comment les petites fourmis apeurées se précipiteraient au-dehors, transportant leurs oeufs pour les mettre en sûreté. Mais le plus jeune dit: "Laisse donc ces animaux en paix, je ne peux pas supporter qu'on les dérange!"
Ils continuèrent et arrivèrent au bord d'un lac sur lequel barbotaient un très grand nombre de canards. Les deux plus vieux voulurent en attraper quelques-uns et les faire cuire, mais le plus jeune ne les laissa pas faire et leur dit: "Laissez donc les animaux en paix, je ne peux pas supporter qu'on les tue!"

Plus tard, ils trouvèrent une ruche d'abeilles qui était tellement remplie de miel, qu'elle en débordait. Les deux frères voulurent faire un feu sous la ruche, afin d'enfumer les abeilles et leur voler leur miel. Mais le plus jeune les en empêcha encore et leur dit: "Laissez donc les animaux en paix, je ne peux pas supporter qu'on les brûle!"
Finalement, les trois frères arrivèrent à un château ensorcelé. Une méchante sorcière avait transformé en pierre toutes les plantes, tous les animaux et tous les gens de ce château, à l'exception du roi. Elle avait épargné le roi car elle voulait qu'il souffre de voir ses trois filles dormir d'un sommeil de pierre.
Les trois princes se dirigèrent vers la porte du château et regardèrent à l'intérieur par un petit trou. Là, ils virent un homme gris et triste comme la pierre assis à une table: c'était le roi. Ils l'appelèrent une fois, puis une seconde fois, mais le roi ne les entendit pas. Ils l'appelèrent de nouveau. Là, il se leva, ouvrit la porte et, sans prononcer un seul mot, les conduisit à une table couverte de victuailles. Lorsque les trois princes eurent mangé et bu, qu'ils furent rassasiés et repus, le roi leur montra leur chambre et ils allèrent dormir.

Le lendemain matin, le roi vint auprès du plus vieux des princes, lui fit signe de le suivre et le conduisit à une tablette de pierre. Sur cette tablette se trouvaient trois inscriptions, chacune décrivant une épreuve qui devait être accomplie pour que le château soit délivré de son mauvais sort.
La première disait: "Dans la forêt, sous la mousse, gisent les mille perles des princesses. Elles doivent toutes être retrouvées avant le coucher du soleil. S'il en manque ne serait-ce qu'une seule, celui qui les aura cherché sera changé en pierre." Le prince partit donc dans la forêt et chercha durant toute la journée. Mais lorsque la nuit tomba, il en avait seulement trouvé une centaine. Il arriva ce qui était écrit sur la tablette: il fut changé en pierre.

L e jour suivant, le second prince entreprit à son tour de retrouver les perles. Mais il ne fit pas beaucoup mieux que son frère aîné: il ne trouva que deux cents perles et fut lui aussi changé en pierre.
Puis, ce fut au tour du plus jeune de chercher les perles. Mais c'était tellement difficile et cela prenait tellement de temps, qu'il se découragea. Il s'assoya sur une roche et se mit à pleurer. À ce moment, la reine des fourmis, à qui il avait un jour porté secours, surgit avec cinq mille autres fourmis. Les petites bêtes cherchèrent les perles et cela ne leur pris guère de temps pour qu'elles les retrouvent toutes et qu'elles les rassemblent en un petit tas.
Fort de son succès, le jeune prince s'attaqua à la seconde épreuve: "La clef de la chambre des princesses gît au fond du lac. Elle doit être retrouvée avant le coucher du soleil. Si ce n'est pas le cas, celui qui l'aura cherché sera changé en pierre." Lorsqu'il arriva au bord du lac, les canards, qu'il avait un jour sauvés, barbotaient encore. Ceux-ci plongèrent dans les profondeurs du lac et rapportèrent la clef au prince.
La dernière épreuve était la plus difficile de toutes: "Parmi les trois filles du roi, il en est une qui est plus jeune et plus gentille que les autres. Elle doit être reconnue avant le coucher du soleil. Celui qui se trompera, celui-là sera changé en pierre." Mais les trois princesses se ressemblaient toutes comme des gouttes d'eau. La seule chose qui permettait de les distinguer était qu'avant d'être changées en pierre elles avaient mangé chacune une sucrerie différente: l'aînée avait mangé un morceau de sucre; la deuxième, un peu de sirop; la plus jeune, une cuillerée de miel.

C'est alors qu'arriva la reine des abeilles dont la ruche avait un jour été sauvée par le jeune prince. Elle se posa sur les lèvres de chacune des princesses pour y goûter les cristaux de sucre qui s'y trouvaient collés. Finalement, elle s'arrêta sur les lèvres de la troisième, car elles avaient le goût du miel.
C'est ainsi que le jeune prince pu reconnaître la plus jeune des princesses. À ce moment, le sort fut levé: toutes les plantes, tous les animaux et tous ceux qui avaient été changé en pierre reprirent vie, et les trois princesses se réveillèrent.
Le jeune prince épousa la plus jeune et devint le roi après la mort de son père, tandis que ses frères marièrent chacun une des deux autres princesses.
 

 
 

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L'oie d'or
 
  

Il était une fois un homme qui avait trois fils. Le plus jeune avait été surnommé le Bêta et était la risée de tout le monde. Ses frères le prenaient de haut et se moquaient de lui à chaque occasion. Un jour, le fils aîné s'apprêta à aller dans la forêt pour abattre des arbres. Avant qu'il ne parte, sa mère lui prépara une délicieuse galette aux oeufs et ajouta une bouteille de vin pour qu'il ne souffre ni de faim ni de soif. Lorsqu'il arriva dans la forêt, il y rencontra un vieux gnome gris. Celui-ci le salua, lui souhaita une bonne journée et dit :
- Donne-moi un morceau de gâteau et donne-moi à boire de ton vin.
Mais le fils, qui était malin, lui répondit :
- Si je te donne de mon gâteau et te laisse boire de mon vin, il ne me restera plus rien. Passe ton chemin.
Il laissa le bonhomme là où il était, et il s'en alla. Il choisit un arbre et commença à couper ses branches, mais très vite il s'entailla le bras avec la hache. Il se dépêcha de rentrer à la maison pour se faire soigner. Ce qui était arrivé n'était pas le fait du hasard, c'était l'oeuvre du petit homme.
Un autre jour, le deuxième fils partit dans la forêt. Lui aussi avait reçu de sa mère une galette et une bouteille de vin. Lui aussi rencontra le petit homme gris qui lui demanda un morceau de gâteau et une gorgée de vin. Mais le deuxième fils répondit d'une manière aussi désinvolte que son frère aîné :
- Si je t'en donne, j'en aurai moins. Passe ton chemin.
Il planta le petit homme là et s'en alla. La punition ne se fit pas attendre. Il brandit sa hache trois ou quatre fois et son tranchant le blessa à la jambe.
Peu de temps après, le Bêta dit :
- Papa, laisse-moi aller dans la forêt. Moi aussi je voudrais abattre des arbres.
- Pas question, répondit le père. Maladroit comme tu es, tu n'iras nulle part.
Mais le Bêta insista et son père finit par céder :
- Vas-y, mais s'il t'arrive quelque chose, tu recevras une belle correction.
Sa mère lui donna une galette faite d'une pâte préparée à l'eau et cuite dans les cendres et une bouteille de bière aigre. Le Bêta arriva dans la forêt et y rencontra le gnome vieux et gris, qui le salua et dit :
- Donne-moi un morceau de ton gâteau et laisse-moi boire de ton vin. J'ai faim et soif.
- Je n'ai qu'une galette sèche et de la bière aigre, répondit le Bêta, mais si cela te suffit, asseyons-nous et mangeons.
Ils s'assirent et le Bêta sortit sa galette qui soudain se transforma en un somptueux gâteau et trouva du bon vin à la place de la bière aigre. Ils mangèrent et burent, puis le vieux bonhomme dit :
- Tu as bon coeur et tu aimes partager avec les autres, c'est pourquoi je vais te faire un cadeau. Regarde le vieil arbre, là-bas. Si tu l'abats, tu trouveras quelque chose dans ses racines.
Le gnome le salua et disparut.
Le Bêta s'approcha de l'arbre et l'abattit. L'arbre tomba et le Bêta aperçut entre ses racines une oie aux plumes d'or. Il la sortit, la prit et alla dans une auberge pour y passer la nuit.
L'aubergiste avait trois filles. Celles-ci, en apercevant l'oie, furent intriguées par cet oiseau étrange. Elles auraient bien voulu avoir une des plumes d'or. « Je trouverai bien une occasion de lui en arracher une », pensa la fille aînée. Et lorsque le Bêta sortit, elle attrapa l'oie par une aile. Mais sa main resta collée à l'aile et il lui fut impossible de la détacher. La deuxième fille arriva, car elle aussi voulait avoir une plume d'or, mais dès qu'elle eut touché sa soeur, elle resta collée à elle. La troisième fille arriva avec la même idée en tête.
- Ne viens pas ici, que Dieu t'en garde ! Arrête-toi ! crièrent ses soeurs.
Mais la benjamine ne comprenait pas pourquoi elle ne devrait pas approcher, et elle se dit : « Si elles ont pu s'en approcher, pourquoi je ne pourrais pas en faire autant ? » Elle s'avança, et dès qu'elle eut touché sa soeur, elle resta collée à elle. Toutes les trois furent donc obligées de passer la nuit en compagnie de l'oie.
Le lendemain matin, le Bêta prit son oie dans les bras et s'en alla, sans se soucier des trois filles qui y étaient collées. Elles furent bien obligées de courir derrière lui, de gauche à droite, et de droite à gauche, partout où il lui plaisait d'aller. Ils rencontrèrent un curé dans les champs qui, voyant ce défilé étrange, se mit à crier :
- Vous n'avez pas honte, impudentes, de courir ainsi derrière un garçon dans les champs ? Croyez-vous que c'est convenable ?
Et il attrapa la benjamine par la main voulant la séparer des autres, mais dès qu'il la toucha il se colla à son tour et fut obligé de galoper derrière les autres.
Peu de temps après, ils rencontrèrent le sacristain. Celui-ci fut surpris de voir le curé courir derrière les filles, et cria :
- Dites donc, monsieur le curé, où courez-vous ainsi ? Nous avons encore un baptême aujourd'hui, ne l'oubliez pas !
Il s'approcha de lui et le prit par la manche et il ne put plus se détacher.
Tous les cinq couraient ainsi, les uns derrière les autres, lorsqu'ils rencontrèrent deux paysans avec des bêches qui rentraient des champs. Le curé les appela au secours, leur demandant de les détacher, lui et le sacristain. Mais à peine eurent-ils touché le sacristain que les deux paysans furent collés à leur tour. Ils étaient maintenant sept à courir derrière le Bêta avec son oie dans les bras.
Ils arrivèrent dans une ville où régnait un roi qui avait une fille si triste que personne n'avait jamais réussi à lui arracher un sourire. Le roi proclama donc qu'il donnerait sa fille à celui qui réussirait à la faire rire. Le Bêta l'apprit et aussitôt il se dirigea au palais, avec son oie et toute sa suite. Dès que la princesse aperçut ce défilé étrange, les uns courant derrière les autres, elle se mit à rire très fort.
Le Bêta réclama aussitôt le mariage, mais le roi n'avait pas envie d'un tel gendre. Il tergiversait et faisait des manières, pour déclarer finalement que le Bêta devait d'abord trouver un homme qui serait capable de boire une cave pleine de vin. Le Bêta pensa que le petit bonhomme gris serait certainement de bon conseil et consentirait peut-être à l'aider, et il partit dans la forêt. À l'endroit précis où se trouvait l'arbre abattu par le Bêta était assis un homme au visage triste. Le Bêta lui demanda ce qu'il avait.
- J'ai grand-soif, répondit l'homme, et je n'arrive pas à l'étancher. Je ne supporte pas l'eau. J'ai bu, il est vrai, un fût entier de vin, mais c'est comme si on faisait tomber une goutte sur une pierre chauffée à blanc.
- Je peux t'aider, dit le Bêta. Viens avec moi, tu verras, tu auras de quoi boire.
Il le conduisit dans la cave du roi. L'homme commença à boire le vin et il but et but jusqu'à en avoir mal au ventre. À la fin de la journée, il avait tout bu.
Le Bêta réclama de nouveau le mariage, mais le roi biaisait encore : un tel simplet, un tel dadais -comme d'ailleurs même son nom l'indiquait - pourrait-il devenir le gendre d'un roi ? Il inventa donc une nouvelle épreuve : le Bêta devrait d'abord lui amener un homme capable de manger une montagne de pain. Le Bêta n'hésita pas une seconde et partit dans la forêt. À l'endroit habituel était assis un homme, qui serrait sa ceinture avec un air très contrarié :
- J'ai mangé une charrette de pain, mais à quoi bon quand on a faim comme moi ? Mon estomac est toujours vide et je dois toujours serrer ma ceinture.
Le Bêta fut très heureux de l'apprendre et lui dit gaiement :
- Lève-toi et suis-moi ! Tu verras, tu mangeras à satiété.
Il emmena l'affamé dans la cour royale. Entre-temps, le roi fit apporter toute la farine du royaume et ordonna d'en faire une montagne de pain. L'homme de la forêt s'en approcha et se mit à manger. À la fin de la journée, il avait tout englouti. Et le Bêta, pour la troisième fois, demanda la main de la princesse. Mais le roi se déroba encore en demandant à son futur gendre de trouver un bateau qui saurait aussi bien se déplacer sur l'eau que sur la terre.
- Dès que tu me l'amèneras, le mariage aura lieu.
Le Bêta repartit dans la forêt et, là était assis le vieux gnome gris qui dit :
- J'ai bu pour toi, j'ai mangé pour toi. Et maintenant je vais te procurer ce bateau ; tout cela parce que tu as été charitable avec moi.
Et, en effet, il lui donna ce bateau qui naviguait aussi bien sur l'eau que sur la terre et le roi ne put plus lui refuser la main de sa fille.
 

 
 

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Mont Simeli
 
  

Il y avait une fois deux frères, dont l'un était riche et l'autre pauvre. Mais le riche ne donnait rien au pauvre, et ce dernier était réduit à vendre des graines pour soutenir sa misérable vie : encore son commerce allait-il si mal, que le malheureux n'avait pas de pain pour nourrir sa femme et ses enfants. Un jour qu'il traversait la forêt avec sa brouette, il aperçut non loin de lui une haute montagne sans herbes ni feuillages, et comme elle frappait ses yeux pour la première fois, il s'arrêta afin de la contempler tout à son aise. Tandis qu'il était ainsi plongé dans l'admiration, il vit venir de son côté douze hommes d'une taille gigantesque et d'un aspect effrayant. Les prenant pour des voleurs, il cacha sa brouette dans un taillis, monta au haut d'un arbre et attendit ce qui allait arriver. Cependant les douze hommes s'arrêtèrent en face du mont, et se mirent à crier :
- Mont Semsi, mont Semsi, ouvre-toi.
Aussitôt le mont se partagea en deux parties par le milieu ; les douze hommes pénétrèrent par cette ouverture, et quand ils furent entrés, le mont se referma. Quelques instants après, il se rouvrit ; les douze hommes sortirent, portant sur leurs dos de lourds sacs, et dès qu'ils furent arrivés à la place où ils s'étaient d'abord arrêtés, ils s'écrièrent :
- Mont Semsi, mont Semsi, ferme-toi.
À ces mots, les deux parties du mont se rejoignirent sans plus laisser la moindre trace de leur ouverture, et les douze hommes s'éloignèrent. Quand notre pauvre diable les eut perdus de vue complètement, il se laissa couler en bas de son arbre, impatient de savoir ce que renfermait l'intérieur du mont. En conséquence, il avança jusque vis-à-vis du mont, et cria :
- Mont Semsi, mont Semsi, ouvre-toi.
Et le mont s'ouvrit. Alors il pénétra dans l'immense caverne : car le mont tout entier ne formait à l'intérieur qu'une voûte pleine d'argent et d'or et alentour brillaient de gros tas de perles et de pierres précieuses. Le pauvre homme ne savait pas par où commencer, et s'il devait toucher à ces derniers trésors ; il se décida à remplir d'or ses poches, sans porter la main aux perles et aux pierres précieuses. Lorsqu'il fut sorti de la caverne, il alla se poser en face du mont, et cria :
- Mont Semsi, mont Semsi, referme-toi.
Le mont se referma en effet, et notre homme retourna au logis avec sa brouette.
À partir de ce moment, il n'eut plus besoin de s'inquiéter de rien : son or lui permit d'acheter pour sa famille le pain nécessaire, et même du vin : il vécut en tout bien tout honneur, donnant aux pauvres et faisant du bien à tout le monde. Quand il fut à bout de son argent, il alla trouver son frère, lui emprunta un boisseau et retourna à la provision : mais cette fois encore il ne toucha pas aux perles et aux pierres précieuses. La troisième fois qu'il voulut se rendre à la montagne, il vint encore prier son frère de lui prêter son boisseau. Celui-ci voyait depuis longtemps avec envie le bien-être survenu dans la maison de son parent, et il se creusait la tête pour savoir la source d'une telle richesse, et à quelle fin son frère venait si souvent emprunter son boisseau. Il trouva un moyen de s'en assurer par la ruse. Il mit de la poix au fond du boisseau ; aussi quand son frère le lui renvoya, y trouva-t-il un morceau d'or qui était collé à la poix. Aussitôt il courut chez son frère et lui dit :
- Qu'as-tu mesuré avec le boisseau ?
- Du blé et de l'avoine, répondit ce dernier.
Alors le méchant riche lui montra le morceau d'or qu'il avait trouvé, et le menaça d'aller le dénoncer à la justice, s'il ne lui disait pas la vérité. Cela détermina notre homme à raconter la chose telle qu'elle lui était arrivée. En possession de ce secret précieux, le frère riche s'empressa de faire disposer une voiture, et de se diriger vers la forêt, avec le projet de rapporter bien d'autres trésors que n'avait son frère jusque- là. Arrivé en face du mont, il se mit à crier :
- Mont Semsi, mont Semsi, ouvre-toi.
Le mont s'ouvrit, et il entra dans la caverne. Quand il vit tant de richesses entassées sous ses yeux, il ne sut d'abord par quoi commencer ; enfin il se décida à prendre des pierres précieuses, autant qu'il put en porter. Il se disposait à transporter ses trésors à l'extérieur de la montagne, mais comme son esprit et son coeur étaient pleins de la pensée de ces richesses, il n'y restait pas la plus petite place pour le nom de la montagne. Il se mit à crier :
- Mont Simeli, mont Simeli, ouvre-toi.
Mais ce n'était pas le vrai nom de la montagne : aussi ne bougea-t-elle pas, et ne la vit-il pas se rouvrir. L'inquiétude s'empara de lui, mais plus il s'enfonça dans ses réflexions, et plus ses pensées se brouillèrent.
Vers le soir le mont s'ouvrit tout à coup, et les douze voleurs entrèrent dans la caverne ; lorsqu'ils aperçurent notre homme, ils se prirent à rire en disant :
- Vous voilà pris enfin, bel oiseau ; vous pensiez peut-être que nous n'avions pas remarqué que vous vous étiez introduit deux fois ici ; pour le coup, nous vous tenons, et vous ne sortirez plus de la caverne.
Le mauvais riche eut beau dire que ce n'était pas lui, mais son frère ; il eut beau demander grâce pour sa vie, les voleurs lui coupèrent la tête
 

 
 

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