Petit frère et petite soeur
 
  

Petit frère prit sa petite soeur par la main et dit :
- Depuis que notre mère est morte, nous ne connaissons plus que le malheur. Notre belle-mère nous bat tous les jours et quand nous voulons nous approcher d'elle, elle nous chasse à coups de pied. Pour nourriture, nous n'avons que de vieilles croûtes de pain, et le petit chien, sous la table, est plus gâté que nous ; de temps à autre, elle lui jette quelques bons morceaux. Que Dieu ait pitié de nous ! Si notre mère savait cela ! Viens, nous allons partir par le vaste monde !
Tout le jour ils marchèrent par les prés, les champs et les pierrailles et quand la pluie se mit à tomber, Petite soeur dit :
- Dieu et nos coeurs pleurent ensemble !
Au soir, ils arrivèrent dans une grande forêt. Ils étaient si épuisés de douleur, de faim et d'avoir si longtemps marché qu'ils se blottirent au creux d'un arbre et s'endormirent.
Quand ils se réveillèrent le lendemain matin, le soleil était déjà haut dans le ciel et sa chaleur pénétrait la forêt. Petit frère dit à sa soeur :
- Petite soeur, j'ai soif. Si je savais où il y a une source, j'y courrais pour y boire ; il me semble entendre murmurer un ruisseau.
Il se leva, prit Petite soeur par la main et ils partirent tous deux à la recherche de la source. Leur méchante marâtre était en réalité une sorcière et elle avait vu partir les enfants. Elles les avait suivis en secret, sans bruit, à la manière des sorcières, et avait jeté un sort sur toutes les sources de la forêt. Quand les deux enfants en découvrirent une qui coulait comme du vif argent sur les pierres, Petit frère voulut y boire. Mais Petite soeur entendit dans le murmure de l'eau une voix qui disait : « Qui me boit devient tigre. Qui me boit devient tigre. » Elle s'écria :
- Je t'en prie, Petit frère, ne bois pas ; sinon tu deviendras une bête sauvage qui me dévorera. Petit frère ne but pas, malgré sa grande soif, et dit :
- J'attendrai jusqu'à la prochaine source.
Quand ils arrivèrent à la deuxième source, Petite soeur l'entendit qui disait : « Qui me boit devient loup. Qui me boit devient loup. » Elle s'écria :
- Petit frère, je t'en prie, ne bois pas sinon tu deviendras loup et tu me mangeras.
Petit frère ne but pas et dit :
- J'attendrai que nous arrivions à une troisième source, mais alors je boirai, quoi que tu dises, car ma soif est trop grande.
Quand ils arrivèrent à la troisième source, Petite soeur entendit dans le murmure de l'eau : « Qui me boit devient chevreuil. Qui me boit devient chevreuil. » Elle dit :
- Ah ! Petit frère, je t'en prie, ne bois pas, sinon tu deviendras chevreuil et tu partiras loin de moi.
Mais déjà Petit frère s'était agenouillé au bord de la source, déjà il s'était penché sur l'eau et il buvait. Quand les premières gouttes touchèrent ses lèvres, il fut transformé en jeune chevreuil.
Petite soeur pleura sur le sort de son pauvre Petit frère et le petit chevreuil pleura aussi et s'allongea tristement auprès d'elle. Finalement, la petite fille dit :
- Ne pleure pas cher petit chevreuil, je ne t'abandonnerai jamais.
Elle détacha sa jarretière d'or, la mit autour du cou du chevreuil, cueillit des joncs et en tressa une corde souple. Elle y attacha le petit animal et ils s'enfoncèrent toujours plus avant dans la forêt. Après avoir marché longtemps, longtemps, ils arrivèrent à une petite maison. La jeune fille regarda par la fenêtre et, voyant qu'elle était vide, elle se dit : « Nous pourrions y habiter. » Elle ramassa des feuilles et de la mousse et installa une couche bien douce pour le chevreuil. Chaque matin, elle faisait cueillette de racines, de baies et de noisettes pour elle et d'herbe tendre pour son petit frère. Il la lui mangeait dans la main, était content et folâtrait autour d'elle. Le soir, quand Petite soeur était fatiguée et avait dit sa prière, elle appuyait sa tête sur le dos du chevreuil -c'était un doux oreiller - et s'endormait. Leur existence eût été merveilleuse si Petit frère avait eu son apparence humaine !
Pendant quelque temps, ils vécurent ainsi dans la solitude. Il arriva que le roi du pays donna une grande chasse dans la forêt. On entendit le son des trompes, la voix des chiens et les joyeux appels des chasseurs à travers les arbres. Le petit chevreuil, à ce bruit, aurait bien voulu être de la fête.
- Je t'en prie, Petite soeur, laisse-moi aller à la chasse, dit-il ; je n'y tiens plus. Il insista tant qu'elle finit par accepter.
- Mais, lui dit-elle, reviens ce soir sans faute. Par crainte des sauvages chasseurs, je fermerai ma porte. À ton retour, pour que je te reconnaisse, frappe et dis « Petite soeur, laisse-moi entrer. » Si tu n'agis pas ainsi, je n'ouvrirai pas.
Le petit chevreuil s'élança dehors, tout joyeux de se trouver en liberté. Le roi et ses chasseurs virent le joli petit animal, le poursuivirent, mais ne parvinrent pas à le rattraper. Chaque fois qu'ils croyaient le tenir, il sautait par-dessus les buissons et disparaissait. Quand vint le soir, il courut à la maison, frappa et dit :
- Petite soeur, laisse-moi entrer !
La porte lui fut ouverte, il entra et se reposa toute la nuit sur sa couche moelleuse. Le lendemain matin, la chasse recommença et le petit chevreuil entendit le son des cors et les « Oh ! Oh ! » des chasseurs. Il ne put résister.
- Petite soeur, ouvre, ouvre, il faut que je sorte ! dit-il.
Petite soeur ouvrit et lui dit :
- Mais ce soir il faut que tu reviennes et que tu dises les mêmes mots qu'hier.
Quand le roi et ses chasseurs revirent le petit chevreuil au collier d'or, ils le poursuivirent à nouveau. Mais il était trop rapide, trop agile. Cela dura toute la journée. Vers le soir, les chasseurs finirent par le cerner et l'un d'eux le blessa légèrement au pied, si bien qu'il boitait et ne pouvait plus aller que lentement. Un chasseur le suivit jusqu'à la petite maison et l'entendit dire :
- Petite soeur, laisse-moi entrer !
Il vit que l'on ouvrait la porte et qu'elle se refermait aussitôt. Il enregistra cette scène dans sa mémoire, alla chez le roi et lui raconta ce qu'il avait vu et entendu. Alors le roi dit :
- Demain nous chasserons encore !
Petite soeur avait été fort affligée de voir que son petit chevreuil était blessé. Elle épongea le sang qui coulait, mit des herbes sur la blessure et dit :
- Va te coucher, cher petit chevreuil, pour que tu guérisses bien vite.
La blessure était si insignifiante qu'au matin il ne s'en ressentait plus du tout. Quand il entendit de nouveau la chasse il dit :
- Je n'y tiens plus ! Il faut que j'y sois ! Ils ne m'auront pas.
Petite soeur pleura et dit :
- Ils vont te tuer et je serai seule dans la forêt, abandonnée de tous. Je ne te laisserai pas sortir !
- Alors je mourrai ici de tristesse, répondit le chevreuil. Quand j'entends le cor, j'ai l'impression que je vais bondir hors de mes sabots.
Petite soeur n'y pouvait plus rien. Le coeur lourd, elle ouvrit la porte et le petit chevreuil partit joyeux dans la forêt. Quand le roi le vit, il dit à ses chasseurs :
- Poursuivez-le sans répit tout le jour, mais que personne ne lui fasse de mal !
Quand le soleil fut couché, il dit à l'un des chasseurs :
- Maintenant tu vas me montrer la petite maison !
Quand il fut devant la porte, il frappa et dit :
- Petite soeur, laisse-moi entrer !
La porte s'ouvrit et le roi entra. Il aperçut une jeune fille si belle qu'il n'en avait jamais vu de pareille. Quand elle vit que ce n'était pas le chevreuil, mais un homme portant une couronne d'or sur la tête qui entrait, elle prit peur. Mais le roi la regardait avec amitié, lui tendit la main et dit :
- Veux-tu venir à mon château et devenir ma femme ?
- Oh ! oui, répondit la jeune fille, mais il faut que le chevreuil vienne avec moi, je ne l'abandonnerai pas.
Le roi dit :
- Il restera avec toi aussi longtemps que tu vivras et il ne manquera de rien.
Au même instant, le chevreuil arriva. Petite soeur lui passa sa laisse et, la tenant elle-même à la main, quitta la petite maison.
Le roi prit la jeune fille sur son cheval et la conduisit dans son château où leurs noces furent célébrées en grande pompe. Petite soeur devint donc altesse royale et ils vécurent ensemble et heureux de longues années durant. On était aux petits soins pour le chevreuil qui avait tout loisir de gambader dans le parc clôturé. Cependant, la marâtre méchante, à cause de qui les enfants étaient partis par le monde, s'imaginait que Petite soeur avait été mangée par les bêtes sauvages de la forêt et que Petit frère, transformé en chevreuil, avait été tué par les chasseurs. Quand elle apprit que tous deux vivaient heureux, l'envie et la jalousie remplirent son coeur et ne la laissèrent plus en repos. Elle n'avait d'autre idée en tête que de les rendre malgré tout malheureux. Et sa véritable fille, qui était laide comme la nuit et n'avait qu'un oeil, lui faisait des reproches, disant :
- C'est moi qui aurais dû devenir reine !
- Sois tranquille ! disait la vieille. Lorsque le moment viendra, je m'en occuperai.
Le temps passa et la reine mit au monde un beau petit garçon. Le roi était justement à la chasse. La vieille sorcière prit l'apparence d'une camériste, pénétra dans la chambre où se trouvait la reine et lui dit :
- Venez, votre bain est prêt. Il vous fera du bien et vous donnera des forces nouvelles. Faites vite avant que l'eau ne refroidisse.
Sa fille était également dans la place. Elles portèrent la reine affaiblie dans la salle de bains et la déposèrent dans la baignoire. Puis elles fermèrent la porte à clef et s'en allèrent. Dans la salle de bains, elles avaient allumé un feu d'enfer, pensant que la reine étoufferait rapidement.
Ayant agi ainsi, la vieille coiffa sa fille d'un béguin et la fit coucher dans le lit, à la place de la reine dont elle lui avait donné la taille et l'apparence. Mais elle n'avait .pu remplacer l'oeil qui lui manquait. Pour que le roi ne s'en aperçût pas, elle lui ordonna de se coucher sur le côté où elle n'avait pas d'oeil. Le soir, quand le roi revint et apprit qu'un fils lui était né, il se réjouit en son coeur et voulut se rendre auprès de sa chère épouse pour prendre de ses nouvelles. La vieille s'écria aussitôt :
- Prenez bien garde de laisser les rideaux tirés ; la reine ne doit voir aucune lumière elle doit se reposer !
Le roi se retira. Il ne vit pas qu'une fausse reine était couchée dans le lit.
Quand vint minuit et que tout fut endormi, la nourrice, qui se tenait auprès du berceau dans la chambre d'enfant et qui seule veillait encore, vit la porte s'ouvrir et la vraie reine entrer. Elle sortit l'enfant du berceau, le prit dans ses bras et lui donna à boire. Puis elle tapota son oreiller, le recoucha, le couvrit et étendit le couvre-pieds. Elle n'oublia pas non plus le petit chevreuil, s'approcha du coin où il dormait et le caressa. Puis, sans bruit, elle ressortit et, le lendemain matin, lorsque la nourrice demanda aux gardes s'ils n'avaient vu personne entrer au château durant la nuit, ceux-ci répondirent :
- Non, nous n'avons vu personne.
La reine vint ainsi chaque nuit, toujours silencieuse. La nourrice la voyait bien, mais elle n'osait en parler à personne. Au bout d'un certain temps, la reine commença à parler dans la nuit et dit :
- Que devient mon enfant ? Que devient mon chevreuil ?
Deux fois encore je reviendrai ; ensuite plus jamais.
La nourrice ne lui répondit pas. Mais quand elle eut disparu, elle alla trouver le roi et lui raconta tout. Le roi dit alors :
- Mon Dieu, que signifie cela ? je veillerai la nuit prochaine auprès de l'enfant.
Le soir, il se rendit auprès du berceau et, à minuit, la reine parut et dit à nouveau :
- Que devient mon enfant ? Que devient mon chevreuil ?
Une fois encore je reviendrai ensuite plus jamais.
Elle s'occupa de l'enfant comme à l'ordinaire avant de disparaître. Le roi n'osa pas lui parler, mais il veilla encore la nuit suivante. De nouveau elle dit :
- Que devient mon enfant ? Que devient mon chevreuil ?
Cette fois suis revenue, jamais ne reviendrai.
Le roi ne put se contenir. Il s'élança vers elle et dit :
- Tu ne peux être une autre que ma femme bien-aimée !
Elle répondit :
- Oui, je suis ta femme chérie.
Et, en même temps, par la grâce de Dieu, la vie lui revint. Elle était fraîche, rose et en bonne santé. Elle raconta alors au roi le crime que la méchante sorcière et sa fille avaient perpétré contre elle. Le roi les fit comparaître toutes deux devant le tribunal où on les jugea. La fille fut conduite dans la forêt où les bêtes sauvages la déchirèrent. La sorcière fut jetée au feu et brûla atrocement. Quand il n'en resta plus que des cendres, le petit chevreuil se transforma et retrouva forme humaine. Petite soeur et Petit frère vécurent ensuite ensemble, heureux jusqu'à leur mort.
 

 
 

Retour Liste
 
 

 
 
 
Raiponce
 
  

Il était une fois un mari et sa femme qui avaient depuis longtemps désiré avoir un enfant, quand enfin la femme fut dans l'espérance et pensa que le Bon Dieu avait bien voulu accomplir son voeu le plus cher. Sur le derrière de leur maison, ils avaient une petite fenêtre qui donnait sur un magnifique jardin où poussaient les plantes et les fleurs les plus belles ; mais il était entouré d'un haut mur, et nul n'osait s'aventurer à l'intérieur parce qu'il appartenait à une sorcière douée d'un grand pouvoir et que tout le monde craignait. Un jour donc que la femme se tenait à cette fenêtre et admirait le jardin en dessous, elle vit un parterre planté de superbes raiponces avec des rosettes de feuilles si vertes et si luisantes, si fraîches et si appétissantes, que l'eau lui en vint à la bouche et qu'elle rêva d'en manger une bonne salade. Cette envie qu'elle en avait ne faisait que croître et grandir de jour en jour ; mais comme elle savait aussi qu'elle ne pourrait pas en avoir, elle tomba en mélancolie et commença à dépérir, maigrissant et pâlissant toujours plus. En la voyant si bas, son mari s'inquiéta et lui demanda : « Mais que t'arrive-t-il donc, ma chère femme ?
- Ah ! lui répondit-elle, je vais mourir si je ne peux pas manger des raiponces du jardin de derrière chez nous ! »
Le mari aimait fort sa femme et pensa : « plutôt que de la laisser mourir, je lui apporterai de ces raiponces, quoi qu'il puisse m'en coûter ! » Le jour même, après le crépuscule, il escalada le mur du jardin de la sorcière, y prit en toute hâte une, pleine main de raiponces qu'il rapporta à son épouse. La femme s'en prépara immédiatement une salade, qu'elle mangea avec une grande avidité. Mais c'était si bon et cela lui avait tellement plu que le lendemain, au lieu que son envie fût satisfaite, elle avait triplé. Et pour la calmer, il fallut absolument que son mari retournât encore une fois dans le jardin. Au crépuscule, donc, il fit comme la veille, mais quand il sauta du mur dans le jardin, il se figea d'effroi car la sorcière était devant lui !
- Quelle audace de t'introduire dans mon jardin comme un voleur, lui dit-elle avec un regard furibond, et de venir me voler mes raiponces ! Tu vas voir ce qu'il va t'en coûter !
- Oh ! supplia-t-il, ne voulez-vous pas user de clémence et préférer miséricorde à justice ? Si Je l'ai fait, si je me suis décidé à le faire, c'est que j'étais forcé : ma femme a vu vos raiponces par notre petite fenêtre, et elle a été prise d'une telle envie d'en manger qu'elle serait morte si elle n'en avait pas eu.
La sorcière fit taire sa fureur et lui dit : « Si c'est comme tu le prétends, je veux bien te permettre d'emporter autant de raiponces que tu voudras, mais à une condition : c'est que tu me donnes l'enfant que ta femme va mettre au monde. Tout ira bien pour lui et j'en prendrai soin comme une mère. »
Le mari, dans sa terreur, accepta tout sans discuter. Et quelques semaines plus tard, quand sa femme accoucha, la sorcière arriva aussitôt, donna à l'enfant le nom de Raiponce et l'emporta avec elle.
Raiponce était une fillette, et la plus belle qui fut sous le soleil. Lorsqu'elle eut ses douze ans, la sorcière l'enferma dans une tour qui se dressait, sans escalier ni porte, au milieu d'une forêt. Et comme la tour n'avait pas d'autre ouverture qu'une minuscule fenêtre tout en haut, quand la sorcière voulait y entrer, elle appelait sous la fenêtre et criait :
Raiponce, Raiponce,
Descends-moi tes cheveux.
Raiponce avait de longs et merveilleux cheveux qu'on eût dits de fils d'or. En entendant la voix de la sorcière, elle défaisait sa coiffure, attachait le haut de ses nattes à un crochet de la fenêtre et les laissait se dérouler jusqu'en bas, à vingt aunes au-dessous, si bien que la sorcière pouvait se hisser et entrer.
Quelques années plus tard, il advint qu'un fils de roi qui chevauchait dans la forêt passa près de la tour et entendit un chant si adorable qu'il s'arrêta pour écouter. C'était Raiponce qui se distrayait de sa solitude en laissant filer sa délicieuse voix. Le fils de roi, qui voulait monter vers elle, chercha la porte de la tour et n'en trouva point. Il tourna bride et rentra chez lui ; mais le chant l'avait si fort bouleversé et ému dans son coeur, qu'il ne pouvait plus laisser passer un jour sans chevaucher dans la forêt pour revenir à la tour et écouter. Il était là, un jour, caché derrière un arbre, quand il vit arriver une sorcière qu'il entendit appeler sous la fenêtre :
Raiponce, Raiponce,
Descends-moi tes cheveux.
Alors Raiponce laissa se dérouler ses nattes et la sorcière grimpa. « Si c'est là l'escalier par lequel on monte, je veux aussi tenter ma chance », se dit-il ; et le lendemain, quand il commença à faire sombre, il alla au pied de la tour et appela :
Raiponce, Raiponce,
Descends-moi tes cheveux.
Les nattes se déroulèrent aussitôt et le fils de roi monta. Sur le premier moment, Raiponce fut très épouvantée en voyant qu'un homme était entré chez elle, un homme comme elle n'en avait jamais vu ; mais il se mit à lui parler gentiment et à lui raconter combien son coeur avait été touché quand il l'avait entendue chanter, et qu'il n'avait plus eu de repos tant qu'il ne l'eût vue en personne. Alors Raiponce perdit son effroi, et quand il lui demanda si elle voulait de lui comme mari, voyant qu'il était jeune et beau, elle pensa : « Celui-ci m'aimera sûrement mieux que ma vieille mère-marraine, la Taufpatin », et elle répondit qu'elle le voulait bien, en mettant sa main dans la sienne. Elle ajouta aussitôt :
- Je voudrais bien partir avec toi, mais je ne saurais pas comment descendre. Si tu viens, alors apporte-moi chaque fois un cordon de soie : j'en ferai une échelle, et quand elle sera finie, je descendrai et tu m'emporteras sur ton cheval.
Ils convinrent que d'ici là il viendrait la voir tous les soirs, puisque pendant la journée venait la vieille. De tout cela, la sorcière n'eût rien deviné si, un jour, Raiponce ne lui avait dit : « Dites-moi, mère-marraine, comment se fait-il que vous soyez si lourde à monter, alors que le fils du roi, lui, est en haut en un clin d'oeil ?
- Ah ! scélérate ! Qu'est-ce que j'entends ? s'exclama la sorcière. Moi qui croyais t'avoir isolée du monde entier, et tu m'as pourtant flouée ! »
Dans la fureur de sa colère, elle empoigna les beaux cheveux de Raiponce et les serra dans sa main gauche en les tournant une fois ou deux, attrapa des ciseaux de sa main droite et cric-crac, les belles nattes tombaient par terre. Mais si impitoyable était sa cruauté, qu'elle s'en alla déposer Raiponce dans une solitude désertique, où elle l'abandonna à une existence misérable et pleine de détresse.
Ce même jour encore, elle revint attacher solidement les nattes au crochet de la fenêtre, et vers le soir, quand le fils de roi arriva et appela :
Raiponce, Raiponce,
Descends-moi tes cheveux. la sorcière laissa se dérouler les nattes jusqu'en bas. Le fils de roi y monta, mais ce ne fut pas sa bien-aimée Raiponce qu'il trouva en haut, c'était la vieille sorcière qui le fixait d'un regard féroce et empoisonné.
- Ha, ha ! ricana-t-elle, tu viens chercher la dame de ton coeur, mais le bel oiseau n'est plus au nid et il ne chante plus : le chat l'a emporté, comme il va maintenant te crever les yeux. Pour toi, Raiponce est perdue tu ne la verras jamais plus !
Déchiré de douleur et affolé de désespoir, le fils de roi sauta par la fenêtre du haut de la tour : il ne se tua pas ; mais s'il sauva sa vie, il perdit les yeux en tombant au milieu des épines ; et il erra, désormais aveugle, dans la forêt, se nourrissant de fruits sauvages et de racines, pleurant et se lamentant sans cesse sur la perte de sa femme bien-aimée. Le malheureux erra ainsi pendant quelques années, aveugle et misérable, jusqu'au jour que ses pas tâtonnants l'amenèrent dans la solitude où Raiponce vivait elle-même misérablement avec les deux jumeaux qu'elle avait mis au monde : un garçon et une fille. Il avait entendu une voix qu'il lui sembla connaître, et tout en tâtonnant, il s'avança vers elle. Raiponce le reconnut alors et lui sauta au cou en pleurant. Deux de ses larmes ayant touché ses yeux, le fils de roi recouvra complètement la vue, et il ramena sa bien-aimée dans son royaume, où ils furent accueillis avec des transports de joie et vécurent heureux désormais pendant de longues, longues années de bonheur.
 

 
 

Retour Liste
 
 

 
 
 
Rose neige et Rose rouge
 
  

Une pauvre veuve vivait seule dans sa petite maison. Devant la maison, il y avait un petit jardin, et dans le jardin, poussaient deux petits rosiers. L'un portait des roses blanches, l'autre des roses rouges. La veuve avait deux filles qui ressemblaient aux deux rosiers. Une se nommait Rose-Neige, l'autre Rouge-Rose. Elles étaient si pieuses et si bonnes, si travailleuses et si patientes que jamais on n'avait vu pareils enfants au monde. Rose-Neige était encore plus silencieuse et plus douce que Rouge-Rose. Rouge-Rose aimait à courir par les prés et les champs, cueillait des fleurs et attrapait des papillons. Rose-Neige restait à la maison auprès de sa mère, l'aidait au ménage ou lui faisait la lecture quand aucun travail ne se présentait. Les deux enfants s'aimaient tant qu'elles se tenaient toujours la main lorsqu'elles sortaient ensemble. Et quand Rose-Neige disait : « Nous ne nous séparerons jamais », Rouge-Rose répondait : « Jamais, tant que nous vivrons. » Et leur mère ajoutait : « Ce que l'une de vous possède, elle doit le partager avec l'autre. » Elles allaient souvent seules dans les bois pour cueillir des baies sauvages. Nul animal ne leur faisait de mal. Le lièvre venait manger des feuilles de chou dans leur main, le chevreuil broutait à leurs côtés, le cerf bondissait joyeusement à leur rencontre, les oiseaux ne quittaient pas leurs branches et chantaient à pleine voix. Quand les deux enfants s'attardaient dans la forêt et que la nuit les surprenait, elles se couchaient l'une près de l'autre sur la mousse et dormaient là jusqu'au matin. Leur mère le savait et ne se faisait aucun souci pour elles. Un jour qu'elles avaient ainsi passé la nuit dans le bois, elles aperçurent dès l'aurore un bel enfant vêtu de blanc. Il était assis auprès d'elles. Quand elles furent complètement éveillées, il se leva et les regarda avec amitié. Mais il ne dit rien. Au bout de peu de temps, il s'en alla et s'enfonça dans la forêt. Quand les fillettes regardèrent autour d'elles, elles virent qu'elles avaient dormi au bord d'un précipice au fond duquel elles seraient sûrement tombées si elles avaient fait un pas de plus dans l'obscurité. Leur mère leur dit que l'enfant blanc devait être l'ange qui veille sur les fillettes sages.
Rose-Neige et Rouge-Rose tenaient le ménage de leur mère avec tant de soin que c'était un plaisir de le voir. En été, Rouge-Rose s'occupait de la maison, et chaque matin, avant que sa mère ne s'éveillât, elle disposait devant son lit un bouquet de fleurs avec, toujours, une rose de chacun des rosiers. En hiver, Rose-Neige allumait le feu et installait la marmite dans le foyer. La marmite était en cuivre et brillait comme de l'or tant elle était bien astiquée. Le soir, quand tombaient les flocons de neige, la mère disait : Va pousser le verrou, Rose-Neige. Et alors elles s'asseyaient toutes les trois au coin du feu. La mère prenait ses lunettes et lisait un gros livre. Les deux fillettes écoutaient de toutes leurs oreilles. À côté d'elles, un petit agneau était couché sur le sol et, derrière, sur une barre de bois, une colombe était perchée, la tête cachée sous son aile.
Un soir qu'elles étaient ainsi familièrement réunies, on frappa à la porte comme si quelqu'un demandait à entrer. La mère dit :
- Vite, Rouge-Rose, ouvre ! Ce doit être un voyageur qui cherche un gîte.
Rouge-Rose se dirigea vers la porte, tira le loquet, pensant qu'il s'agissait de quelque malheureux. Mais ce fut un ours qui par l'huis passa sa tête noire. Rouge-Rose poussa un cri et bondit en arrière. L'agneau se mit à bêler, la colombe battit des ailes, Rose-Neige se cacha derrière le lit de sa mère. Mais l'ours dit :
- Ne craignez point ; je ne vous ferai pas de mal. Je suis à moitié gelé et je voudrais seulement me réchauffer auprès de vous.
- Pauvre ours, dit la mère, allonge-toi près du feu ! Prends garde de ne pas brûler ta fourrure.
Et elle cria :
- Rose-Neige et Rose-Rouge, venez ! L'ours ne vous fera pas de mal ; il n'a pas de mauvaise intentions.
Elles s'approchèrent toutes deux et, peu à peu, leur crainte passée, l'agneau et la colombe vinrent également auprès de lui. L'ours dit :
- Époussetez voir un peu la neige qui recouvre ma fourrure, les enfants !
Les fillettes cherchèrent un balai et nettoyèrent son pelage. Lui, il se coucha près du feu et grogna de contentement tant il se sentait à l'aise. Bientôt, tout le monde fut en confiance et l'on s'amusa gentiment de la lourdeur de l'ours. On caressa sa fourrure, on mit les pieds sur son dos et les petites filles le firent rouler de-ci, de-là. L'ours se laissait faire. Mais comme elles y allaient un peu fort, il dit :
- Ne me tuez pas, les enfants Et il ajouta :
- Rose-Neige et Rouge-Rose
leur prétendant à la mort exposent.
Quand fut venu le moment de dormir, et que les enfants s'en furent allées au lit, la mère dit à l'ours:
- Pour l'amour de Dieu, reste ici auprès du feu. Tu y seras à l'abri du froid et du mauvais temps.
Dès la pointe du jour, les enfants le firent sortir de la maison et il partit dans la neige vers la forêt. De ce moment-là, il revint tous les soirs à heure fixe. Il se couchait près du feu et permettait aux enfants de s'amuser avec lui autant qu'elles le voulaient. Elles s'étaient si bien habituées à lui qu'on ne mettait pas le verrou tant qu'il n'était pas arrivé.
Quand le printemps fut revenu et que la nature reverdit, l'ours dit un beau matin à Rose-Neige :
- Maintenant, il va falloir que je parte. Et je ne reviendrai plus de tout l'été.
- Où veux-tu donc aller, cher ours ? demanda Rose-Neige.
- Il faut que j'aille dans la forêt pour protéger mes trésors contre les méchants nains. En hiver, quand le sol est gelé, ils restent sous terre et ne peuvent sortir de leurs demeures. Mais maintenant que le soleil a fait fondre la glace et réchauffé la terre, ils réapparaissent, furètent partout et pillent. Et ce qui est passé par leurs mains et qu'ils ont apporté dans leurs cavernes ne revoit pas facilement la lumière du jour !
L'annonce de ce départ avait rendu Rose-Neige fort triste. Quand elle eut ouvert et que l'ours se glissa par la porte, il s'accrocha au verrou et un morceau de sa fourrure se déchira. Rose-Neige eut l'impression d'avoir vu briller de l'or. Mais elle n'en était pas sûre. L'ours, lui, était déjà loin et bientôt il disparut derrière les arbres.
Quelque temps après, leur mère envoya les deux enfants à la forêt pour y ramasser du petit bois. Quand elles y furent arrivées, elles virent un grand arbre abattu et quelque chose bondissait dans l'herbe, le long du tronc. En approchant, elles aperçurent un nain au visage vieux et ridé, avec une barbe longue d'une aune, blanche comme neige. La pointe de la barbe était coincée dans une fente de l'arbre et le petit bout d'homme courait de-ci, de-là, comme un chien en laisse, sans savoir comment il pourrait se tirer d'affaire. Il regarda les fillettes de ses yeux rouges et luisants et cria :
- Pourquoi restez-vous plantées là ? Qu'attendez-vous pour m'aider ?
- Que t'est-il arrivé, petit homme ? demanda Rouge-Rose.
- Petite oie stupide et curieuse, répondit le nain. Je voulais fendre l'arbre pour avoir du petit bois pour la cuisine. Avec des morceaux trop gros, le peu qu'il nous faut pour manger, à nous qui ne sommes pas si gloutons que vous, peuple grossier et vorace, brûle tout de suite. J'avais déjà réussi à enfoncer le coin et tout allait bien quand il glissa brusquement et jaillit en l'air. L'arbre se referma si vite que je n'ai pas pu en retirer ma belle barbe blanche. Maintenant, elle est coincée et je ne peux plus m'en aller. Et vous, vous riez, faces de carême ! Pouah ! Que vous êtes laides !
Les enfants se donnèrent beaucoup de mal, mais ne parvinrent pas à dégager la barbe du nain. Elle tenait trop bien.
- Je vais aller chercher de l'aide, dit Rouge-Rose.
- Stupide tête de mule ! gronda le nain. Chercher de l'aide ? C'en est déjà trop de vous deux. Trouvez une meilleure idée !
- Ne t'impatiente pas, dit Rose-Neige. Je vais t'aider.
Elle prit ses petits ciseaux dans sa poche et coupa le bout de la barbe. Aussitôt que le nain fut libéré, il saisit un sac plein d'or caché entre les racines de l'arbre, le mit sur son dos et marmonna dans sa barbe :
- Quels grossiers personnages ! Couper un morceau de ma belle barbe !
Sur quoi il s'en alla, sans même jeter un dernier regard aux enfants.
À quelque temps de là, Rose-Neige et Rouge-Rose décidèrent d'aller à la pêche. Quand elles arrivèrent sur les bords du ruisseau, elles aperçurent quelque chose qui ressemblait à une grosse sauterelle, qui sautillait au bord de l'eau comme si elle voulait y bondir. Les enfants s'approchèrent et reconnurent le nain.
- Que fais-tu ? demanda Rouge-Rose. Tu ne vas quand même pas sauter dans l'eau !
- Je ne suis pas fou à ce point, répondit le nain. Ne voyez-vous donc pas que c'est le poisson que j'étais en train de prendre qui essaye de m'y faire tomber ?
Le petit homme s'était, en effet, installé là pour pêcher et, par malheur, le vent avait emmêlé sa barbe dans sa ligne. Au même moment, un gros poisson avait mordu à l'hameçon et la faible créature ne parvenait pas à le tirer de l'eau. À ce jeu, le poisson était le plus fort et il allait réussir à entraîner le nain dans l'eau. Celui-ci avait beau s'accrocher aux brins d'herbe et aux joncs, cela ne lui servait à rien. Il lui fallait suivre les mouvements du poisson et il se trouvait en constant danger d'être tiré dans le ruisseau. Les fillettes arrivèrent à point. Elles le retinrent et essayèrent de dégager la barbe de la ligne. En vain ; barbe et ligne étaient emmêlées inextricablement l'une dans l'autre. Il ne restait rien d'autre à faire que de prendre des ciseaux et de couper la barbe dont un nouveau morceau fut ainsi sacrifié. Quand le nain s'en aperçut, il s'écria :
- Sont-ce là des manières, stupides filles ! Non contentes d'avoir coupé la pointe de ma barbe, vous m'en taillez maintenant les trois quarts ! Je n'oserai plus paraître devant les miens. Puissiez-vous aller nu-pieds !
Il ramassa un sac de perles caché dans les roseaux et, sans ajouter un mot, disparut derrière une pierre.
Il advint que peu de temps plus tard, leur mère envoya les deux fillettes à la ville pour y acheter du fil, des aiguilles et du ruban. Pour y aller, elles devaient traverser une lande parsemée d'énormes rochers. Elles virent un gros oiseau qui planait au-dessus d'elles lentement, mais de plus en plus bas et qui, finalement, se posa près d'un roc. Tout de suite après, elles entendirent un cri perçant et pitoyable. Elles coururent par là et virent avec effroi que c'était un aigle qui tenait leur vieille connaissance, le nain, entre ses serres. Il allait l'enlever dans les airs. Pleines de compassion, les fillettes se cramponnèrent au petit homme et tirèrent tant et si bien que l'aigle abandonna sa proie. Quand le nain fut revenu de sa peur, il dit de sa voie grinçante :
- Vous ne pouviez donc pas faire ça plus proprement ! Vous avez tant tiré sur ma pauvre veste qu'elle en est déchirée de partout et pleine de trous, maladroites, lourdaudes que vous êtes !
Il ramassa un sac de diamants et se glissa dans sa caverne sous les rochers. Les fillettes étaient habituées à son ingratitude. Elles poursuivirent leur route et firent leurs achats à la ville.
Sur le chemin du retour, elles surprirent le nain en train de secouer son sac de diamants au-dessus d'un endroit de la lande qu'il avait nettoyé, n'imaginant pas que quelqu'un viendrait à passer par là si tard. Le soleil couchant éclairait les pierreries qui jetaient tant de feu multicolores que les fillettes s'arrêtèrent pour les admirer.
- Qu'avez-vous à rester là, la bouche en coeur ! s'écria le nain dont le visage d'ordinaire gris cendre était devenu tout rouge de colère.
Il allait poursuivre ses diatribes quand un sourd grondement se fit entendre et un ours noir sortit du bois. Effrayé, le nain essaya de regagner son trou. Trop tard ! L'ours était déjà sur lui. Dans sa peur, le nain s'écria :
- Épargnez-moi, Seigneur Ours ! Je vous donnerai tous mes trésors. Regardez les beaux diamants, là, par terre ! Faites-moi grâce ! Que gagnerez-vous à manger mon corps fluet ? Vous ne me sentirez même pas passer entre les dents. Prenez plutôt ces deux mécréantes ! Voilà pour vous un mets délicat ! Elles sont grasses comme des cailles. Mangez-les, par le diable !
L'ours ne s'occupa pas de ce qu'il disait. Il donna à la méchante créature un seul coup de patte et celle-ci ne bougea plus.
Les fillettes s'étaient enfuies. Mais l'ours leur cria :
- Rose-Neige et Rouge-Rose, n'ayez pas peur, attendez, je vais partir avec vous !
Elles reconnurent sa voix et s'arrêtèrent. Et quand l'ours les eut rejointes, sa fourrure tomba soudain et elles virent un beau jeune homme tout d'or vêtu.
- Je suis fils du Roi, dit-il, et le nain, après m'avoir volé mes trésors, m'avait jeté un sort me transformant en ours sauvage condamné à errer par les bois, jusqu'à ce que sa mort me libérât. Il a enfin reçu son châtiment.
Rose-Neige l'épousa et Rouge-Rose se maria avec son frère. Il se partagèrent les immenses trésors que le nain avait rassemblés dans sa caverne. La vieille mère vécut encore de nombreuses années, tranquille et heureuse auprès de ses enfants. Elle emporta avec elle les deux rosiers, et les replanta devant sa fenêtre où, chaque année, ils donnèrent les plus belles roses, blanches et rouges.
 

 
 

Retour Liste
 
 

 
 
 
Rumpelstiltskin
 
  

Il était une fois un pauvre meunier qui avait une fille d'une grande beauté. Un roi s'arrêta un jour pour bavarder un peu et le meunier, pour se rendre intéressant, vanta les qualités de sa fille :
- Ma fille sait filer de l'or avec de la paille.
- Ça alors ! dit le roi, je saurais apprécier un tel talent. Si ta fille est vraiment aussi habile que tu le dis, amène-la demain au château. Nous la mettrons à l'épreuve.
Le lendemain, la jeune fille se présenta au château. Le roi la conduisit dans une pièce où il y avait de la paille jusqu'au plafond. Puis il lui remit une quenouille et lui désigna un rouet.
- Mets-toi au travail, ordonna-t-il. Si avant l'aube tu n'arrives pas à transformer cette paille en or, tu n'échapperas pas à la mort.
La pauvre jeune fille s'assit, ne sachant quoi faire. Sa vie était menacée, mais elle n'avait pas la moindre idée de la façon dont on pouvait transformer de la paille en or. Elle avait le coeur serré et, ayant de plus en plus peur, elle se mit à pleurer.
Soudain, la porte s'ouvrit et un petit lutin entra dans la pièce.
- Bonjour, jeune fille, la salua-t-il. Pourquoi pleures-tu à chaudes larmes ?
- Ah ! soupira la jeune fille, je dois filer de la paille pour en faire de l'or et je ne sais pas le faire.
- Que me donnerais-tu si je le faisais à ta place ? demanda le petit homme.
- Le collier que je porte au cou, proposa la fille.
Le lutin prit son collier, puis il s'assit au rouet et le fit tourner - vrrr-vrrr-vrrr -, il tira trois fois et une quenouille fut pleine. Il en mit une autre et - vrrr-vrrr-vrrr - une deuxième fut remplie. Et ainsi de suite jusqu'au petit matin. À l'aube, toute la paille était filée et de l'or brillait sur toutes les bobines.
Le soleil était à peine levé que le roi était déjà là, et il n'en revenait pas. Seulement, voyant tout cet or, il se frotta les mains, car comme il était très avare, il en voulait plus encore. Il fit amener la fille du meunier dans une autre pièce remplie de paille, beaucoup plus grande encore que la précédente, et il ordonna qu'elle la filât en une nuit si elle voulait avoir la vie sauve.
La jeune fille ne sut quoi faire et se mit à pleurer. Mais la porte s'ouvrit à nouveau et notre petit homme entra et dit :
- Que me donneras-tu si je transforme cette paille en or ?
- Ma bague, répondit la jeune fille, et elle enleva la bague de son doigt.
Le lutin prit la bague et se mit au travail. Le rouet commença à tourner et il tourna et tourna, jusqu'à l'aube. Et comme la veille, la paille avait disparu et le fil d'or brillait sur les bobines.
Le roi fut fou de joie, mais il estima qu'il n'en avait pas assez ; il en voulait toujours plus, encore et encore. Et il fit donc amener la fille du meunier dans une troisième pièce, plus grande encore que la précédente et ordonna :
- Tu fileras cette paille cette nuit. Et si tu réussis, je t'épouserai.
À peine la jeune fille fut-elle seule, que le petit homme se montra pour la troisième fois et demanda à nouveau :
- Que me donneras-tu cette fois-ci, si je file ta paille ?
- Que pourrais-je te donner ? répondit la jeune fille, je n'ai plus rien.
- Promets-moi donc de me donner ton premier enfant quand tu seras reine.
« Qui sait comment les choses vont se passer ? » se dit la fille du meunier. Et comme, de toute façon, elle n'avait pas d'autre solution, elle promit au petit homme ce qu'il souhaitait. Et ce dernier transforma donc, une fois encore, la paille en or.
À l'aube, ayant tout trouvé comme il l'espérait, le roi fit préparer un grand banquet de noces et la belle meunière devint reine.
Une année passa et la reine donna naissance à un ravissant petit garçon. Et soudain, le petit homme, entra dans sa chambre et dit :
- Donne-moi ce que tu m'avais promis.
La reine fut horrifiée. Elle proposa au petit homme toute la richesse du royaume, pourvu qu'il lui laissât son enfant. Mais le lutin ne voulut rien savoir.
- Non, non, dit-il, je préfère quelque chose de vivant à tous les trésors.
La reine se mit à pleurer et son chagrin finit par émouvoir le petit homme.
- J'attendrai trois jours, consentit-il, et si, d'ici là, tu as trouvé comment je m'appelle, tu pourras garder ton enfant.
La reine réfléchit toute la nuit, se rappelant tous les noms qu'elle avait entendus. Elle dépêcha un messager pour qu'il questionne les gens dans tout le pays afin qu'elle apprenne tous les noms qui existent.
Lorsque le lendemain matin le lutin arriva, elle cita tous les noms qu'elle connaissait, mais chaque fois le petit homme hocha la tête :
- Ce n'est pas mon nom. Le lendemain, la reine envoya un émissaire jusque dans le pays voisin afin de connaître les noms de ce pays. Elle cita ensuite au petit homme tous ces noms étranges et inhabituels :
- Ne t'appelles-tu pas Moustache-de-souris ? Ou Gigot-d'Agneau ? Ou peut-être Tranche-de-Boeuf ?
- Ce n'est pas ça, répondit le lutin à chaque fois.
Le troisième jour, le messager de la reine revint du voyage et claironna d'entrée :
- On ne peut plus trouver d'autres noms, pas un seul. Mais, lorsque je passais près d'une montagne à l'entrée d'une étrange forêt où les lapins et les renards se saluent avec courtoisie, j'aperçus une petite maison. Et devant elle, un drôle de petit homme, un vrai lutin, sautillait à cloche-pied autour d'un feu en vociférant :
Par temps froid et par temps chaud,
Rumpelstiltskin n'est pas manchot,
Je sais tout faire, même la cuisine,
Et un petit prince j'aurai en prime.
Vous comprenez aisément que la reine se réjouit en apprenant ce nom.
Peu de temps après, le petit homme arriva au château. Et il attaqua d'entrée :
- Alors, ma reine : quel est mon nom ?
- Et si tu t'appelais Rumpelstiltskin ? dit alors la reine.
- Quel diable te l'a soufflé ? Quel diable te l'a soufflé ? brailla le petit homme.
Et il frappa le sol de son pied droit avec tant d'énergie qu'il s'enfonça tout entier dans la terre. Puis, fou de rage, il attrapa son pied gauche avec ses deux mains et - crac ! - il se déchira en deux.
 

 
 

Retour Liste