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Le coup de vice fait aux chômeurs devait rester secret
Le gournement, le Medef et la CFDT ont gardé pour eux, le plus longtemps possible, la réduction des droits aux Assedic. Et Fillon en a remis une louche.
Encore une belle réussite des grands communicants du gouvernement, du Medef et de la CFDT: leur coup tordu à l'encontre de quelques centaines de milliers de chômeurs devait rester secret le plus longtemps possible. Et, au moins, jusqu'au premier trimestre 2004.
Conclue l'an dernier à quelques heures de la trêve des confiseurs, la convention entre le Medef et les habituels cogérants de la polotique sociale (CFDT, CFTC et CGC) n'a guère été remarquée sur le moment. Recommandation avait d'ailleur été faite aux agents de l'ANPE et des Assedic de ne pas se lancer dans de vaste opérations d'information des chômeurs. Lesquels risquaient pourtant de voir leurs droits abrégés de plusieurs mois. Tout au plus fut il décidé que les demandeurs d'emploi dont les allocations vont être amputées à compter du 1er janvier 2004 seraient prévenus 'au fil de l'eau", c'est à dire individuellement au moment du réexamen de leur dossier. La consigne principale était: pas de vagues.En juin, alertés par les premiers demandeurs d'emploi qui venaient d'être avisés du prochain passage à la guillotine, plusieurs journaux publient, discrètement, des chiffres inquiétants: entre 613 000 et 850 000 chômeurs pourraient ainsi être privés d'Assedic. La CFDT se fêche et adresse, le 23 juin, une circulaire à tous ses dirigeants régionaux. "Chiffres sans fondement (...), personne mal intentionnées, (...), manipulation", proteste t elle. Et tous ceux qui ont osé prétendre que cette nouvelle convention se traduirait par une hécatombe parmi les sans emploi indemnisés sont de fieffés menteurs.
 
Douches écossaises gratuites.
Or, dès le 28 mai, la Direction des études et des statistiques de l'Unedic avait publié une note indiquant que 856 700 allocataires devraient être informés, à partir de juillet 2003, qu'ils allaient se faire sucrer leurs indemnités. A croire que le président de Unédic, Michel Jalmain, par ailleurs responsable de l'indemnisation des chômeurs à la CFDT, ne lit pas les notes que pondent ses services. A moins que, sciemment, les amis de François Chérèque aient voulu cacher la vérité, de peur d'une nouvelle tuile juste après l'affaire des retraites.
On n'ose le croire. En tout cas, l'effets est désastreux sur les chômeurs. L'objet de la réforme est effet de "basculer" (sic) vers l'état une partie des demandeurs d'emploi indemnisés par l'assurance chômage. La durée maximale d'indemnisation, dont bénéficient surtout les chômeurs agés, est réduite de 60 à 45 mois. Pour le tout venant, l'indemnisation tombe de 30 à 23 mois. Petite vacherie supplémentaire: cette ne s'applique pas seulement aux futurs chômeurs, comme le veut la tradition, mais aussi à ceux qui sont déjà pris en charge. En clair, les sans emploi qui totaliseront 23 mois d'indemnisation au 1er janvier seront éjectés, alors qu'ils comptaient sur 7 mois d'allocation supplémentaire.
Et, pour annoncer la bonne nouvelle, on ne fait pas toujours dans la dentelle. Ainsi, en Bretagne et dans les Bouches du Rhône, un employé est spécialement chargé de téléphoner aux intéressés pour leur faire part de ce qui les attend au 1er janvier.
Dans l'ANPE de l'est de Paris, c'est lors de leur pointage que les chômeurs sont avertis. "Pas la peine de me montrer les preuves de votre recherche d'emploi. Je n'en ai plus besoin, car j'ai une mauvaise nouvelle pour vous", leur lâche alors le contrôleur.
Pour les chômeurs en formation, c'est la catastrophe. La formation est en effet liée à l'indemnisation Assedic. Du coup, plusieurs milliers d'entre eux vont être virés de leur stage dès le 1er janvier sans même l'avoir terminé. Magnifique, pour un gouvernement qui prétend promouvoir la formation professionnelle.
Le "basculement" des chômeurs indemnisés par l'Unedic vers l'état, via l'allocation spécifique de solidarité (ASS), se traduit par une dégringolade considérable du pouvoir d'achat des heureux bénéficiaires. Car cette ASS est en fait une allocation dite "différencielle", versée aux sans emplois afin que le total de leurs revenus atteigne au maximum 949,20 euros (célibataires) ou 1 491,60 euros (couples).
 
Les gaietés du RMI
Pour les ménages honteusement privilégiés qui gagnent plus d'une brique (ancienne) par mois, l'ASS devrait donc se réduire à zéro. Dur à avaler pour les chômeurs qui pensaient tenir jusqu'en juillet 2004 avec 40% de leur ancien salaire. Et plus dur encore à faire comprendre au banquier, au proprio et à l'épicier du coin.
Mais les bénéficiaires de cette ASS ne sont pas oubliés. François Fillon a estimé, jeudi 18, que cet afflux de quémandeurs vers les caisses de l'Etat risquait de peser lourdement sur les finances publiques: ils seront donc orientés vers le RMI au bout de deux ans. Un joli doublé: primo, le mistigri est refilé aux départements; deuzio, les RMIstes disparaissent des statistiques du chômage, ce qui n'était pas le cas des bénéficiaires de l'ASS. En plus, leur temps au RMI ne compte pas pour le calcul de la retraite. Et voilà comment les chiffres pourraient connaître une amélioration spectaculaire l'an prochain.
Moralité? Il n'y en a pas.
" Le Canard enchaîné" Mercredi 24 septembre 2003
Alain Guédé
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