LE DESERTEUR
 
Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir
Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens
C’est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m’en vais déserter
********
Depuis que je suis né
J’ai vu mourir mon père
J’ai vu partir mes frères
Et pleurer mes enfants
Ma mère a tant souffert
Elle est dedans sa tombe
Et se moque des bombes
Et se moque des vers
Quand j’étais prisonnier
On m’a volé ma femme
On m’a volé mon âme
Et tout mon cher passé
Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes
J’irai sur les chemins
********
Je mendierai ma vie
Sur les routes de France
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens :
Refusez d’obéir
Refusez de la faire
N’allez pas à la guerre
Refusez de partir
S’il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n’aurai pas d’armes
Et qu’ils pourront tirer


 Boris Vian (1920-1959) écrit « Le déserteur »,
texte anti-militariste en février 1954,
à la fin de la guerre d’Indochine (1946 – 1954),
mais juste avant la guerre d’Algérie (1954 -1962).
En collaboration avec Harold B.Bercy,il le met
en musique, puis il propose la chanson à bon
nombre d’artistes, mais tous refusent de
l’interpréter.
En effet, la version d’origine comporte une fin très
différente : au lieu de « si vous me poursuivez
prévenez vos gendarmes que je n’aurai pas
d’armes et qu’ils pourront tirer
»,
il avait écrit
« si vous me poursuivez prévenez vos gendarmes
que je possède une arme et que je sais tirer
».

Le chanteur Mouloudji propose alors à Boris Vian
d’apporter des modifications visant à rendre le
texte politiquement plus correct, tout en restant dans
une logique pacifiste.
Il transforme donc la fin, mais également quelques
phrases centrales, « Monsieur le Président »
devient
« Monsieur que l’on nomme grand »,
« Ma décision est prise je m’en vais déserter »
devient
« Les guerres sont des bêtises, le monde en a assez ».
L’enregistrement a lieu en mai 1954, juste après la défaite française de Diên Biên Phu.
 
Mais malgré toutes les édulcorations du texte
original, la chanson fait un scandale retentissant
dans le contexte historique et politique de l’époque.
Elle fut censurée à la radio et le disque interdit de vente jusqu’en 1962.
 
Autant dire que Boris Vian, décédé en 1959,
n’aura vécu que les échecs et les remous liés à sa
composition. . .
Retour
Nota :
La version initiale des 2 derniers vers était :
  "que je tiendrai une arme,
  et que je sais tirer ..."
Boris Vian a accepté la modification de son ami Mouloudji pour conserver le côté pacifiste de la chanson !
Retour au choixHaut de page

 
 
 
 
 
NUIT et BROUILLARD
 
Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent
*
Ils se croyaient des hommes, n´étaient plus que des nombres
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés
Dès que la main retombe il ne reste qu´une ombre
Ils ne devaient jamais plus revoir un été
*
La fuite monotone et sans hâte du temps
Survivre encore un jour, une heure, obstinément
Combien de tours de roues, d´arrêts et de départs
Qui n´en finissent pas de distiller l´espoir
*
Ils s´appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou
D´autres ne priaient pas, mais qu´importe le ciel
Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux
*
Ils n´arrivaient pas tous à la fin du voyage
Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux
Ils essaient d´oublier, étonnés qu´à leur âge
Les veines de leurs bras soient devenues si bleues
*
Les Allemands guettaient du haut des miradors
La lune se taisait comme vous vous taisiez
En regardant au loin, en regardant dehors
Votre chair était tendre à leurs chiens policiers
*
On me dit à présent que ces mots n´ont plus cours
Qu´il vaut mieux ne chanter que des chansons d´amour
Que le sang sèche vite en entrant dans l´histoire
Et qu´il ne sert à rien de prendre une guitare
*
Mais qui donc est de taille à pouvoir m´arrêter ?
L´ombre s´est faite humaine, aujourd´hui c´est l´été
Je twisterais les mots s´il fallait les twister
Pour qu´un jour les enfants sachent qui vous étiez
*
Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants
Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent
*


 
Retour
Retour au choixHaut de page

 
 
 
 
 
VEUVE de GUERRE
 
Mon mari est mort à la guerre.
Je venais d'avoir 18 ans.
Je fus à lui seul toute entière,
De son vivant
Mais le jour de la fête,
On me conte fleurette.
Peut-être qu'on aurait pas pu
Si je n'avais pas tant bu.
Comme j'étais couchée sur le ciment,
On a pu facilement devenir mon amant.
*****
Si ça devait arriver,
C'est que ça devait arriver.
Tout dans la vie arrive à son heure.
Il faut bien qu'on vive.
Il faut bien qu'on boive.
Il faut bien qu'on aime.
Il faut bien qu'on meure.
*****
Mon amant est mort à la guerre.
Je venais d'avoir 19 ans.
Je fus à lui seul toute entière
De son vivant,
Mais quand j'ai appris ça,
Je ne sais ce qui se passe,
Je ne sais quelle folie,
Je ne sais quelle furie :
En un jour, je pris 3 amants
Et puis encore autant
Dans le même laps du temps.
Si ça devait arriver,
C'est que ça devait arriver.
Tout dans la vie arrive à son heure.
Il faut bien qu'on vive.
Il faut bien qu'on boive.
Il faut bien qu'on aime.
Il faut bien qu'on meure.
*****
Tous les six sont morts à la guerre,
A la guerre que font mes amants.
Bientôt, chez nous, y aura plus guère
D'hommes vivants
Mais quand un seul restera,
J'épouserai celui-là.
On sera enfin tranquille
Jusqu'au jour où nos filles
En seront aussi au moment
De prendre des amants
Comme leur pauvre maman.
*****
Si ça doit arriver,
C'est que ça doit arriver.
Tout dans la vie arrive à son heure.
Il faut bien qu'on vive.
Il faut bien qu'on boive.
Il faut bien qu'on aime.
Il faut bien qu'on meure.
*****
Il faut bien qu'on vive.
Il faut bien qu'on boive.
Il faut bien qu'on aime.
Il faut bien qu'on meure


 
Retour
Retour au choixHaut de page

 
 
 
 
 
POTEMKINE
 
M´en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
Qui chante au fond de moi au bruit de l´océan
M´en voudrez-vous beaucoup si la révolte gronde
Dans ce nom que je dis au vent des quatre vents
*
Ma mémoire chante en sourdine
Potemkine
*
Ils étaient des marins durs à la discipline
Ils étaient des marins, ils étaient des guerriers
Et le cœur d´un marin au grand vent se burine
Ils étaient des marins sur un grand cuirassé
*
Sur les flots je t´imagine
Potemkine
*
M´en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
Où celui qui a faim va être fusillé
Le crime se prépare et la mer est profonde
Que face aux révoltés montent les fusiliers
*
C´est mon frère qu´on assassine
Potemkine
*
Mon frère, mon ami, mon fils, mon camarade
Tu ne tireras pas sur qui souffre et se plaint
Mon frère, mon ami, je te fais notre alcade
Marin ne tire pas sur un autre marin
*
Ils tournèrent leurs carabines
Potemkine
*
M´en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
Où l´on punit ainsi qui veut donner la mort
M´en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
Où l´on n´est pas toujours du côté du plus fort
*
Ce soir j´aime la marine
Potemkine


 
Retour
Cette chanson est sortie au moment où de petits groupes commençaient à se former dans la jeunesse pour assumer des orientations anticapitalistes et anti-impérialistes radicales, au moment aussi où de forts courants de radicalisation vers la gauche commençaient à toucher divers pans de la société.
Je me rappelle de sa réception dans deux lieux publics où la salle resta subjuguée devant le poste de télévision.
Retour au choixHaut de page

 
 
 
 
 
LA FEMME du SERGENT
 

 Y avait la femme d'un militaire qui faisait collection d'képis
Y avait des blancs, des rouges, des verts, c'en était de biens beaux bibis
*
C'est la femme du sergent qui pour gagner beaucoup d'argent
Levait la jambe à tour de bras quand son mari n'était pas là
Lui dépensait sa solde à boire faut dire que c'était son métier
Aussi le soir fallait le voir parler d' l'Indo et d' la Corée
J'étais dans les rizières j'avais deux hommes à moi
L'un tenant la bannière l'autre me tenant moi
*
Pour recevoir ses p'tits amis elle cachait tous ses képis
mettait une robe de chambre kaki et se couchait en chien d'fusil
*
C'est la femme du sergent qui pour gagner beaucoup d'argent
Levait la jambe à tour de bras quand son mari n'était pas là
Lui dépensait sa solde à boire faut dire que c'était son métier
Aussi le soir fallait le voir parler d' l'Indo et d' la Corée
J'étais dans les rizières j'avais trois femmes à moi
On n' faisait pas d'manière une fois j'te vois ou j'te vois pas
Elle répétait les mots d'amour que son mari lui avait appris
C'est pour ça qu'elle disait toujours "feu à volonté toute la nuit"
*
C'est la femme du sergent qui pour gagner beaucoup d'argent
Levait la jambe à tour de bras quand son mari n'était pas là
Lui dépensait sa solde à boire faut dire que c'était son métier
Aussi le soir fallait le voir parler d' l'Indo et d' la Corée
J'étais dans les rizières j'avais cent hommes à moi
Le flingue en bandoulière on s'cachait dans les bois
*
Un soir d'ivresse elle mourut sous un petit vieillard maniaque
Un général plutôt fourbu lui tomba d'ssus de son hamac
*
C'est la femme du sergent qui pour gagner beaucoup d'argent
Levait la jambe à tour de bras quand son mari n'était pas là
Lui dépensait sa solde à boire faut dire que c'était son métier
Aussi le soir fallait le voir parler d' l'Indo et d' la Corée
J'étais dans les rizières j'avais mille cons à moi
on marchait à la bière c'était dur croyez-moi !


 
Retour
Retour au choixHaut de page